Un retour sur le Tao au travers d’un descriptif de ses manifestations, seule manière objective d’en parler. Quant à son essence, cela reste et semble devoir rester un mystère !
道 冲 而 用 之 或 不 盈 | Le Tao dissémine sans jamais se remplir | |
渊 兮 似 万 物 之 宗 | Insondable ancêtre de toutes choses ! | |
挫 其 锐 | Il arrondit les angles, | |
解 其 纷 | Dissipe la confusion, | |
和 其 光 | Harmonise la lumière, | |
同 其 尘 | Unifie la poussière. | |
湛 兮 似 或 存 | Pure présence ! | |
吾 不 知 谁 之 子 | Je ne sais d’où il vient. | |
象 帝 之 先 | Il semble antérieur à l’Être suprême |
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Après le désordre ordonné, voici l’ordre apparent…
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Prononciation en chinois (Chap 4 de 2:06 à 2 :30)
Commentaires :
Un paragraphe très profond (渊, 湛), à l’exemple du Tao, où rien ne semble assuré, d’où l’accumulation de 或(peut-être, probablement), de 似 (apparaître, sembler être) ou encore 象 (sembler, paraître). Ajoutons-y des mots aux multiples sens et l’on comprend que Lao Zi ne fasse que conjecturer de la nature du Tao et finisse par concéder 吾 不 知 (je ne sais pas). Nous aurions pourtant aimé que l’auteur clarifie ce qui est confus (解 其 纷) ou unifie ce qui est poussière (同 其 尘). Mais comment pourrait-il en être autrement puisque 道 可 道 非 常 道 (1-1) ? Je ne sais qu’une chose du Tao, c’est que je n’en sais rien…
Le paragraphe ouvre néanmoins sur du concret avec une sorte de soupe cosmique d’où bouillonne et jaillit (冲) toute chose (万 物) sans jamais pouvoir être rempli (盈). Comment en effet remplir ce qui est sans fond et sans limite ? « Au début du Monde était une soupe cosmique illimitée, compacte et immobile.» déclarait aussi Anaxagore de Clazomènes (500-428 av. J.-C.)
Nous retrouvons ensuite le vieux débat (Cf. Chap 2) quant à la traduction de 万 物 : toutes choses ou dix mille êtres. Du côté de la cosmologie (« toutes choses »), l’idée générale reste l’harmonie d’un univers qui ne doit pas être ni trop pointu ou anguleux (锐) ni trop confus (纷), ni trop lumineux (光) ni trop poussiéreux (尘). Pour ce faire, le Tao atténue ou maîtrise (挫), clarifie ou apaise (解), harmonise (和) et unifie (同). Il fait en sorte que l’univers opère dans un juste milieu. « Car il y a deux côtés opposés en toutes choses, et si l’un des côtés l’emporte, ce ne peut être indéfiniment : l’autre côté, à son tour, l’emportera. Rien, donc, ne peut se maintenir égal à lui-même – rien si ce n’est la Voie » précise Marcel Conche.
Côté conseils du Sage à destination des hommes (« dix mille êtres »), dans la continuité du Chap 3, la perception du Tao émousse (挫) ou canalise l’esprit combatif (锐), disperse ou clarifie (解) la confusion (纷) des esprits, relativise ou harmonise (和) la gloire ou les honneurs (光) et s’assimile (同) aux défauts (尘).
Le Souverain (帝) évoqué dans la dernière phrase n’a rien de politique mais est plutôt une référence à une figure mythologique chinoise que l’on retrouve dans les classiques. Apparemment (象) antérieur (先) à cet Être Surprême, l’origine du Tao demeure mystérieuse, 同 谓 之 玄 (1-8), 玄 之 又 玄 (1-9), présence (存) profonde et tranquille (湛) !
Galilée s’est retrouvé devant l’Inquisition pour avoir osé reprendre les idées coperniciennes d’un univers non centré sur la Terre. Que serait-il advenu d’un Lao Zi suggérant la prééminence du Tao ? Son « je ne sais pas » ou son « il semble que » viserait-il à ne pas froisser trop de susceptibilités ? « A cause de l’abstraction du sujet, et peut être aussi par prudence, ses conclusions choquant les anciennes traditions chinoises, Lao-tzeu […] ne se prononce pas sur l’origine du Principe, mais le fait antérieur au Souverain des Annales et des Odes […] [ce qui] équivaut donc pratiquement à sa négation » précise Léon Wieger.
Une chose est sûre : prendre comme Principe un Tao indéfinissable et comme règle un « je ne sais pas » réduit le risque de dogmatisme et d’antagonismes. Un tel Principe, ouvert et flexible, est une invitation à la communion spirituelle, loin des clivages et querelles de chapelles.
Le Mendiant