Le caractère central de ce paragraphe est善(juste, bon, satisfaisant) : il apparait dans quasiment toutes les phrases et fait le lien entre deux parties qui auraient pu sembler distinctes : une métaphore de l’eau, d’une part, et des règles de bonne conduite, d’autre part.
上 善 若 水。 | La Perfection est comme l’eau | |
水 善 利 万 物 而 不 爭, | Qui, bonne à tous, ne s’oppose à rien, | |
处 众 人 之 所 恶 | Réside dans les lieux délaissés par les hommes, | |
故 几 于 道。 | Et, ainsi, est proche du Tao. | |
居 善 地, | La position juste est à terre, | |
心 善 渊, | La pensée juste est profonde, | |
与 善 仁, | La relation juste est bienveillante | |
言 善 信, | La parole juste est sincère | |
正 善 治, | La gouvernance juste est intègre | |
事 善 能, | Le travail juste est efficace | |
动 善 时。 | Le mouvement juste est opportun | |
夫 唯 不 争,故 无 尤。 | Seul, sans rivalité, sans faute. |
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Prononciation en chinois (Chap 8 à partir de 3:48)
Commentaires :
Première complication avec les multiples traductions possibles de上 善 : supérieure (上) bonté (善), bien suprême, vertu supérieure, parfaite bonté, bonté transcendante, meilleure bienveillance, grande perfection… Surtout, à quoi cette « Perfection » fait-elle référence : au Tao lui-même ou bien à une caractéristique du sage ?
Limpide est toutefois sa ressemblance (若) avec l’eau (水) dont Lao zi nous décrit ensuite les caractéristiques altruistes, tout comme il nous décrivait en 7-3 l’altruisme du ciel et de la terre: bonne (善) au bénéfice (利) des dix mille êtres (万 物), sans lutte (爭) et réside (处) dans les lieux (所) détestés (恶) par les hommes (人).
Ainsi (故), l’eau est presque (几) dans (于) le Tao (道) et cette quatrième phrase rend plus plausible la thèse de l’eau en tant que métaphore de la vertu du Sage. La suite du paragraphe conforte également cette version.
Henning Strom est l’auteur qui résume le mieux cette première partie : « L’eau est yin, docile, réceptive et descent modestement dans les bas-fonds, contrairement à l’homme de la foule qui cherche à s’imposer par l’action et à s’élever. En bas, loin du vacarme, de la contestation et de la lutte, il est plus facile de communiquer avec le Dao. » (p.27)
La seconde partie est bâtie autour de善 [shàn] : sept phrases de construction identiques et une conclusion. Marcel Conche propose d’isoler善 : « Ce qui fait la bonté, c’est : » et de lister ensuite les différents comportements adéquats. Léon Wieger est encore plus radical puisqu’il associe善 [shàn] au respect du Tao : « Ceux qui imitent le Principe : » et de lister ensuite de simples verbes.
Nombre de traducteurs s’accordent sur le fait qu’il s’agit là d’une liste décrivant l’éthique de l’homme de vertu, l’homme de la parfaite bonté, bref le Sage. Quelques auteurs optent pour de simples conseils à l’adresse de tout un chacun : « Choisis le profond pour ton cœur », etc. D’autres restent sur la notion de parfaite bonté : « Sa position est favorable », etc. D’autres enfin optent pour des phrases indépendantes : « Pour la conscience importe la profondeur », etc. Ou encore « En matière de don, l'excellence est l'humanité », etc. C’est également notre choix.
La version du Père Claude Larre offre une originalité puisqu’il utilise la phrase précédente – qu’il traduit en « Les plus proches de la Voie » - comme introduction à la liste : « préfèrent s'établir à même le sol », etc. Les caractères chinois sont une fois de plus non respectés mais l’idée est juste : voici ce qu’il convient de faire pour être en adéquation avec le Tao.
Certains de ces conseils sont relativement surprenants voire subversifs (prendre une position (居) par terre (地) quand d’autres sont plus classiques, notamment dans les rapports avec autrui, bienveillants (仁) et sincères (信).
Le fait que Lao Zi parle de gouvernance (治) peut surprendre car le Sage n’est pas censé faire de politique. C’est la raison pour laquelle ces conseils pourraient bien s’adresser à tout un chacun : voici les règles de bonne conduite pour ceux qui veulent se rapprocher du Tao. Petit conseil indirect (et gratuit) de Lao zi à tous les responsables politiques…
La dernière phrase est problématique car l’homme (夫) seul (唯) ne peut-être que le Sage ce qui serait alors contradictoire avec les conseils considérés comme universels. Dans cette perpective, la phrase aurait mieux fait d’être placée en cinquième ligne (rappelons que les versions du Daode Jing qui nous sont parvenus présentent des ordres parfois différents). Le plus simple, comme l’on fait les autres traducteurs, serait donc de gommer cette référence à la solitude et de conclure par un « « Est sans reproche qui n'est rival de rien ».
Je n’en suis pas satisfait et je laisserai donc plutôt le mot de la fin à Didier Gonin qui, dans son stimulant « Réussir sa vie avec le Tao » (Editions Albin Michel) livre une interprétation différente de 善 ainsi qu’un beau résumé du chapitre complet: « La personne authentique est comme l’eau : elle donne avec un parfait amour ».
Le Mendiant