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21 juillet 2019 7 21 /07 /juillet /2019 08:00

Un chapitre particulièrement ardu, entre techniques de longues vie et connaissance de soi, avec beaucoup de questions et une réponse sous forme de mystérieuse Vertu.

 

 

1

一,能

L’âme peut-elle embrasser l’Un et ne plus Le quitter ?

2

柔,能

Peut-on, en cultivant son Qi, devenir aussi souple qu’un nouveau-né ?

3

览,能

Peut-on, en se purifiant, en se sondant, redevenir sans défaut ?

4

国,能

Peut-on prendre soin du peuple et administrer l’Etat tout en pratiquant le non-agir ?

5

阖,能

Peut-on, face à la porte céleste, agir avec l’impassibilité de la femelle ?

6

达,能 乎。

Peut-on, empli de connaissance, pratiquer le Non-savoir ?

7

之,畜 之,生

Donner naissance et élever sans notion de propriété ;

8

恃;长 宰,

Accomplir sans rien attendre ; guider sans rien revendiquer

9

德。

Telle est la mystérieuse Vertu

 

 

Cliquer sur le numéro de phrase vous transportera directement aux explications de la phrase en question. Après le désordre ordonné, voici l’ordre apparent…

 

 

Vidéos de l’internet chinois…

 

Prononciation en chinois (Chap 10 à partir de 4 :42)

 

 

 
 

Commentaires :

 

Nous commençons le travail sur soi avec un exercice de méditation : embrasser (), se fondre dans l’Un (), afin d’obtenir une stabilité perpétuelle. A moins qu’il ne s’agisse de faire l’unité entre l’âme visionnaire, spirituelle, l’esprit (certaines versions du texte ont en effet remplacé le caractère  ying par le caractère hun) et l’âme végétative, le corps (). Si nous y réussissions, si nous pouvions ne plus quitter () cet état, nous serions alors immortels, à l’image du  Tao. Est-il nécessaire de préciser que ce n’est pas le cas, d’où l’interrogation () d’un Lao Zi réaliste. La perspective nénmoins de prolonger sa vie en assurant au maximum cette unicité, que celle-ci soit cosmologique ou « médicale ».

 

Exercices sur le souffle ensuite : se concentrer () sur son Qi () pour retrouver la souplesse () du nouveau-né ( ou ) qui, sans ego, n’a pas encore de volonté, de désir ou d’action, est encore tout entier dans le Tao, dans le respect de sa nature. L’occasion ici, voir 10-2, de définir ce concept fondamental de souffle-respiration ou « force vitale ».

 

Travail de purification maintenant : laver () et éliminer () en profondeur () afin de pouvoir () être sans taches, sans défauts (). Lao Zi n’a pas de lessive particulière à nous recommander et il questionne à nouveau () cette possibilité. La pureté sera néanmoins favorisée par la connaissance de soi : entrer au plus profond de soi afin de comprendre ses zones d’ombres. Lao Zi psychanalyste ? Marcel Conche doit le penser : « Il s’agit de n’avoir, dans son for intérieur, que des pensées chastes. Ainsi sera-t-on comme le nouveau-né, c'est-à-dire l’homme avant l’apparition du désir sexuel. » (p.88)

 

Puis viens un message à l’attention des gouvernants : ne multipliez donc pas l’action (), les lois et les mesures mais montrez plutôt l’exemple ! Il ne s’agit pas d’être un technocrate ou un expert, démontrant en permanence son savoir (certaines versions du texte parlent de non-savoir plutôt que de non-action) mais un serviteur qui aime () les gens, le peuple (). Alors le pays () sera bien gouverné () !

 

 

tao_planete.jpg

 

Ce qu’on entend par la « porte céleste » ( ) modifiera en profondeur le sens de la phrase : pour les uns, il sagit des « orifices génitaux de l’homme et de la femme », pour Marcel Conche (qui a laissé la psychanalyse de côté), il s’agit des yeux qui permettent de contempler, d’être réceptifs à la nature. Pour le Maître du Bord du Fleuve, ce terme désigne le « palais de la Ténuité purpurine au pôle Nord » (Catherine Despeux a la bonne idée de rappeler qu’il s’agit du centre du ciel d’après la cosmogonie chinoise), ou encore les narines qui s’ouvrent () et se ferment () avec la respiration. Pour Wang Bi, enfin, « la porte céleste fait référence au point à partir duquel tout dans le monde vient à paraître. » (Despeux, p.212). Quant à Henning Strom, il rappelle qu’en acupuncture, le point Poumon 7 est appelé par les anciens Tian Men ( ) et qu’il « est le point de commande de Ren Mai qui est le Méridien le plus yin et donc en analogie avec la Femelle. » (p.33) En effet, c’est encore le calme et l’impassibilité de la femelle () qui sert d’exemple au sage, Cf. Chap 6.

 

Cette fois, c’est la traduction de qui pose problème : quatre étendues, quatre perfections ou quatre extrémités (du monde). Le sens reste néanmoins plus ou moins le même : est-il possible, alors que l’on est riche de compréhension (), de pratiquer le non-savoir ( ), de rester dans l’inconnaissance, être comme ne sachant rien. « Être comme un nouveau-né, ne pas laisser sa force vitale être altérée par le retentissement de tout ce qui a lieu. Garder sa spontanéité, à partir de quoi commence toujours à nouveau la vie. Car on est toujours à la naissance du monde, et l’acte créateur est en chacun de nous. » précise Marcel Conche (p.91)

 

Les trois dernières phrases définissent la mystérieuse () Vertu (), en reprenant les termes de 2-12 et 2-13. Il s’agit de prendre modèle sur le Tao qui engendre et élève () sans posséder (), accomplit () sans rien attendre (), développe () sans exercer d’autorité (). « Quand on parle d’insondable Vertu, cela signifie que la Vertu est présente, mais que l’on ignore quel est son souverain. Elle provient de l’insondable insondabilité » précise le Maître du Bord du Fleuve, faisant référence à 1-8. Marcel Conche, plus pragmatique, parle de « comportement vis-à-vis des enfants et de sa descendance », allant définir la vertu de la femme au fait d « être assez généreuse et assez forte pour refuser l’IVG ; ensuite, allaiter et élever soi-même son enfant ; le moment venu, le laisser aller vers sa vie et son avenir sans attendre de gratitude ».   Concluons donc plutôt avec Cheng Man Ching[1] « Si l’on agit conformément à la nature, il n’est pas nécessaire d’agit consciemment ou d’insister pour avoir la confiance des autres. » (p.55)

 

Le Mendiant

[1] Mes mots sont faciles à comprendre, Le Courrier du Livre, 1998, un livre globalement peu recommandable pour comprendre Lao Zi ou le Tao.

 

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14 juillet 2019 7 14 /07 /juillet /2019 08:00

Comment définir la Vertu. Pourquoi son mystère est sa principale caractéristique.  

 

德。

shì wèi xuán dé

Être – Appelé – Mystérieux – Vertu

 

() [wèi] signifie dire, appeler, parler de, nom, signification ou sens, Cf. 1-8. [xuán] signifie noir, sombre, profond, obscur, abscons, peu fiable, incroyable ou mystérieux, Cf. 1-8. [dé] signifie la vertu, la morale, l’éthique, la gentillesse, la faveur, le cœur ou l’esprit. C’est le caractère que l’on retrouve dans le titre de l’ouvrage [Dao De Jing], communément traduit par « Le livre/le classique de la voie/du Tao et de sa vertu » .

 

Traduction :

C’est là la vertu secrète/mystérieuse/profonde/insondable/suprême/originelle/primordiale

♥  « Voilà la Vertu intime » (Marcel Conche)

♣ « Tel est le Te profond et merveilleux » (Shi Bo)

►  [dé] fait ici référence au Tao, contrairement au chapitre 2 qui traitait du Sage. Mais le sage prenant exemple sur le Tao, il est possible d’adopter la vision anthropomorphique de Stanislas Julien « C'est ce qu'on appelle posséder une vertu profonde »

 

vice_vertu.jpgLe Choix d’Hercule de Paolo de’ Matteis

 

Contre-sens ?

Tous les traducteurs traduisent[dé] par vertu à l’exception de Conradin Von Lauer « Tel est le chemin de la mystérieuse perfection », Léon Wieger « Voilà la formule de l’action transcendante », Richard Wilhelm « C'est la Vie mystérieuse » ou Rémi Mathieu « C'est ce qu'on nomme l'efficience mystérieuse ».  

 

♫ Telle est la mystérieuse Vertu

Mystérieuse vertu d’un Tao mystérieux, Cf. 1-8.

 

Réflexions :

1. Quelle est donc cette étrange vertue qui pousse les hommes à enfanter et à se consacrer au développement d’une nouvelle vie sinon l’appel de leur nature, leur soumission aux lois du Tao ?

2. Dans un monde où domine (médiatiquement en tout cas), violence et désordres, la vertu n’apparait-elle pas toujours comme étrange ? C’est elle qui semble sortir de l’ordinaire, être extra-ordinaire alors qu’elle est naturellement présente au cœur des hommes. Attention à ne pas nous laisser berner : sur une page blanche, c’est le point noir qui saute aux yeux, Cf. 3-7.

 

Le Mendiant

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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 08:00

Pourquoi le rôle des parents est naturellement ingrat. Pourquoi la reconnaissance est facultative. 

 

恃;长 ,

wéi ér bù shì ; zhǎng ér bù zǎi

Agir/Devenir - [conj.] - Pas - Dépendre de ; Se développer – [conjonction] – Pas – Être en charge

 

, Cf. 2-13 (on le retrouvera également au chapitre 51)

() [cháng] signifie long, longueur, qui dure ou point fort. Prononcé [zhǎng], il signifie chef, leader, supérieur, ainé, grandir, se développer ou augmenter, Cf. 2-5. [zǎi] signifie abattre ou massacrer mais aussi être en charge de, gouverner ou encore (nom) fonctionnaire ou officiel du gouvernement.

 

Traduction :

Cf. 2-13 + guider/diriger/faire croître/gouverner sans contraindre, sans tenter de contrôler, sans asservir, sans dominer/diriger, sans s’imposer, sans exercer d’autorité.

♥  «Œuvrer sans rien attendre, guider sans dominer » (Marcel Conche)

♣ « Agir mais sans en tirer l'orgueil, Laisser pousser mais sans moissonner.» (Shi Bo)

► Variantes de la non-action taoïste, expression de libertés.

 

Contre-sens ?

Les différents sens de[zǎi] expliquent une partie des différentes traductions mais seuls Henning Strom « Aide-les sans t'appuyer sur eux, fais-les croître sans les tuer » et le Père Claude Larre « Entretenir ne pas assujettir, présider à la vie ne pas faire mourir » en retiennent le sens premier, ce qui apparaît excessif. François Huang et Pierre Leyris « Œuvre sans rien revendiquer, sois un guide et non pas un maître. » ainsi que Stanislas Julien « Il leur fait du bien et ne compte pas sur eux. Il règne sur eux et ne les traite pas en maître » continuent de prendre le Sage pour sujet.

 

maitre_bebe.jpeg

 

♫ Accomplir sans rien attendre ; guider sans rien revendiquer

Ne revendiquer aucune charge ou honneur vis-à-vis de ceux que l’on aide.

 

Réflexions :

1. L’éducation serait l’œuvre la chose la plus difficile au monde. Est-ce parce qu’elle est ingrate, parce qu’elle doit être gratuite jusqu’au bout, qu’elle conduit à la liberté d’enfants qui ne se retournent pas toujours ?

2. Les parents sont dévoués vis-à-vis de leurs enfants et accomplissent quantité de tâches pour les aider ou les éduquer mais n’attendent-ils vraiment rien en retour ?  Dans la tradition chinoise, les enfants doivent aider leurs parents durant leur viel âge et sont la garantie d’avoir une fin de vie paisible. Un juste retour des choses que Lao zi remettrait-il ici en cause, s’en prenant au passage à la piété filiale de Confucius ?

3. Il est d’opinion que les enfants doivent respect à leurs parents mais ont-ils demandés à naître ou à être éduqués pour plus ou moins bien s’intégrer dans une société plus ou moins débile ?  Le cadeau de la vie ne vaut que pour ceux qui arrivent à vivre et on ne se sent jamais autant en vie qu’au contact des enfants. N’est-ce pas donc plutôt les parents qui devraient être reconnaissants vis-à-vis de leurs enfants, qui arrivent encore de temps en temps à les détourner de la routine et de la morosité ?

4. L’éducation, c’est « guider, conduire hors de », donner à l’enfant des repères, baliser le sentier qui le conduira à l’état d’adulte libre et responsable. Les parents, via leurs qualités et leurs défauts, leurs exemples et contre-exemples, procurent une vague carte à l’enfant mais c’est à ce dernier que revient la responsabilité de marcher, de découvrir le territoire, de contourner les obstacles. Dès lors, comment des parents pourraient-ils avoir la moindre revendication vis-à-vis de leurs enfants ?

5. Infantiliser les parents sur le mode du « ne faites pas ceci, ne faites pas cela ! » a conduit certains parents à laisser tomber, à préférer ne rien faire plutôt qu’à prendre le risque de se tromper.  Laisser la parole aux juristes ou aux experts est irresponsable car cela induit l’idée qu’il y aurait une bonne et une mauvaise éducation (« bien ou mal élevé ») alors que la meilleure éducation sera celle qui sera la plus désintéressée, c’est-à-dire celle qui ne se concentrera pas sur des objectifs ou des critères subjectifs mais sur l’épanouissement et la liberté de l’enfant. Faire de son mieux dans l’instant présent m’apparaît ainsi être la seule exigence. A l’enfant de faire le reste !

 

Le Mendiant

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30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 08:00

Pourquoi l’éducation doit s’accompagner de liberté. Comment se détacher de ce que l’on aime le plus.  

 

之,畜 之,生 有;

shēng zhī, xù zhī, shēng ér bù yǒu

Vivre/Elève – [liaison] – Elever – [liaison], Vivre/Elève - [conj.] - Pas – Avoir

 

[shēng] signifie (verbe) donner naissance, grandir, vivre et (nom) existence, vie, élève, Cf. 2-3. [xù] signifie élever (un animal domestique). Prononcé [chù], il signifie animal domestique ou bétail.

, Cf. 2-12 (on le retrouvera également au chapitre 51)

 

Traductions :

Fais vivre/élève/produit/créer (les êtres) et nourris-les - Donner naissance/la vie et nourrir/élever/l’entretenir/la protéger - Produire/créer et faire croître/développer + Cf.2-12

♥  «Laisser être, laisser croître, laisser être, ne pas accaparer. » (Claude Larre) ou « Produire, élever, sans faire sien ce qu’on a produit » (Léon Wieger)

♣ « Ô toi qui prêtes vie et nourris, tu prêtes vie sans t'approprier » (Jean Levi)

► Retour sur 2-12 : l’art du détachement appliqué à ce que l’on a de plus cher ?

 

Contre-sens ?

Quel est le sujet de la phrase ?  Qui élève donc les être comme des animaux domestiques ?  Il ne peut ici s’agir du Sage – contrairement à 2-12 - mais plutôt du Tao, pour qui toute créature est « chiens-de-paille » (5-1) Le « Elève les êtres, nourris-les sans chercher à les asservir » de François Huang et Pierre Leyris ou le « Il produit les êtres et les nourrit. Il les produit et ne les regarde pas comme sa propriété » de Stanislas Julien, dépassent ainsi les capacités de l’homme.

 

rousseau_emile_nb.jpg

 

♫ Donner naissance et élever sans notion de propriété

 

Réflexions :

1. « Les enfants, c’est essentiel, vous savez : ce sont à la fois des sources de bonheur, de lâcher-prise et de générosité. Il faut se mettre à leur niveau et les encourager à nous dépasser, puis à nous quitter… » (Le Majordome in Le Mendiant et le Milliardaire)

2. Elève-t-on ses enfants comme du bétail, préparés à l’abattoir de la productivité, chargés d’une multitude d’activités, destinés à être les plus rentables possibles ?  « Malheureuse prévoyance, qui rend un être actuellement misérable, sur l'espoir bien ou mal fondé de le rendre heureux un jour ! » (Jean-Jacques Rousseau, Emile ou De l'éducation)

3. « Il arrive qu’un vouloir n’ait d’effet sur un autre vouloir qu’en s’effaçant » commente Marcel Conche.  Peut-on avoir un effet autrement ?  L’éducation ou l’art de l’effacement : donner à ses enfants les atouts pour ne plus avoir besoin de nous…

 

Le Mendiant

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 08:00

Pourquoi convient-il de dépasser le savoir. Quelle est la réelle valeur de notre connaissance.

 

达,能 乎﹖

míng bái sì dá, néng wú zhī hū

Lumière/Comprendre – Pur – Quatre – Etendues, Pouvoir – [négation] – Savoir - [Interrogation]

 

[míng] signifie clair, brillant, lumière, distinct, ouvert, explicite, honnête, prochain, savoir ou comprendre. [bái] signifie blanc, clair, pur, en vain, pour rien ou gratuit. () [dá] signifie étendre, atteindre, comprendre complètement, exprimer ou communiquer, éminent ou distingué. [zhī] signifie (verbe) savoir, réaliser, informer, dire, être en charge de, administrer ou (nom) le savoir, Cf. 2-1.

 

Trad. 1 :

Peux-tu tout voir et tout connaître, être informé de tout, sans user de l'intelligence, rester indifférent comme si on ne savait rien ?

♥  « En comprenant tout ce qui t’entoure, peux-tu te passer de connaissance ? » (J. J. L. Duyvendak)
► Le sage a une connaissance instinctive des choses. Il sait naturellement, sans nécessité de se mettre en avant par son savoir.

 

Trad. 2 :

Peux-tu pénétrer les quatre directions sans en rien savoir ? Peut-on pénétrer les quatre directions sans faire appel à la conscience ? En comprenant tout ce qui se passe dans les quatre quartiers du monde, peux-tu être comme ne sachant rien ?

► Shi Bo explicite ces « quatre directions » comme étant les « quatre points cardinaux » ce qui revient à dire que l’on voit tout et comprend tout.

 

Trad. 3 :

Peux-tu te distancier de ton propre esprit et ainsi comprendre toutes choses ? (Stéphen Mitchell) Dans la blancheur radieuse de l'illumination, pourras-tu faire le deuil de ta raison ? (Jean Levi) « Comprends tout à fond, tu peux alors arriver à ne rien savoir » (Henning Strom)

► Des traductions originales… mais pertinentes.

 

mandala4directions nb

 

Contre-sens ? 

Quelques "traducteurs" ont fait une inversion avec le [wú wéi] de 10-4 et parlent donc de non interférence ou de non-agir.  Nettement moins grave, l’évocation de l’ignorance comme dans le « Si ses lumières pénètrent en tous lieux, il pourra paraître ignorant » de Stanislas Julien ou le « Etant inondé de lumière de tous côtés, pouvoir être ignorant » de Marc Haven et Daniel Nazir. Enfin, le caractère interrogatif [hū] demeure oublié par la moitié des propositions.

 

♫ Peut-on, empli de connaissance, pratiquer le Non-savoir ?

 

Réflexions :

1. La culture est comme la confiture : moins on en a et plus on l’étale !  La connaissance comme outil de l’ego ?  Il n’est pas étonnant, dans cette perspective, que les sages taoïstes souhaitent la dépasser.

2. Pratiquer le Non-Savoir, serait-ce garder un œil neuf et un esprit libre de tous préjugés ou bien alors agir comme si l’on ne savait pas, retrouver la souplesse du nouveau-né, Cf. 10-2 ?

3. « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ! » (Socrate) La connaissance conduirait-elle à la compréhension de sa futilité ?

4. « Un grand érudit peut rejeter son intellect, mais que fera un médiocre ? Comment peut-il le rejeter, puisqu’il ne l’a pas ? Si vous avez du savoir, vous pouvez y renoncer et devenir ignorant, humble ; mais si vous n’avez aucun savoir, comment pouvez-vous y renoncer ? Socrate pouvait dire : « Je ne sais rien ». C’est le second temps : il savait beaucoup, puis il réalisa que tout savoir est inutile. […] Il faut exercer l’intellect, il faut acquérir du savoir, il faut cristalliser l’égo ; c’est le premier temps de la vie. Lorsque vous avez ces richesses, alors vous pouvez y renoncer. » (Osho, Evangile Thomas, p.179)

5. La connaissance est trop souvent déconnectée de la réalité. Exemple extrême avec cet expert-psychologue qui écrit un livre contre les fessées sans avoir lui-même d’enfant. Différence entre les experts occidentaux et les sages orientaux, voir 2-10.

 

Le Mendiant

 

 

 

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16 juin 2019 7 16 /06 /juin /2019 08:00

Pourquoi le sage prend la femme en modèle. Comment le féminisme est contradictoire avec le taoïsme.

 

阖,能

tiān mén kāi hé néng wéi cí hū

Ciel – Porte – Ouvrir – Fermer, Pouvoir – Agir – Femelle – [Interrogation]

 

[tiān] signifie le ciel, Cf. 1-3, mais aussi le jour, la saison, le temps, la nature ou même Dieu ou le Paradis.  () [mén] signifie porte, entrée, barrière, valve, interrupteur, catégorie, famille ou école de pensée, Cf. 1-9. () [kāi] signifie ouvrir, commencer, démarrer, tenir (une réunion), payer ou bouillir.  () [hé] signifie entier(e), complet(e) ou fermer. [cí] signifie femelle. « Ce terme ci, littéralement « poule », a beaucoup intrigué les commentateurs et les traducteurs qui ont voulu y voir un terme d’emprunt pour un autre désignant le féminin, la femelle, termes par lesquels la majorité des traducteurs ont traduit ci. Pourtant, l’image de la poule est certainement à sa place ici, si l’on se réfère à un document découvert récemment, les Quatres Canons de l’empereur Jaune. Un chapitre entier y est consacré aux « attitudes de la poule et du coq. » (Catherine Despeux, p. 96) Duyvendak nous précise aussi que « L’image de la poule vis-à-vis du coq reparaît dans XXVIII pour exprimer l’idée de passivité »

 

Traduction :

Peux-tu, lorsque s'ouvrent et se ferment les Portes du Ciel, rester passif comme la femelle ? (Richard Wilhelm)

► Les portes célestes sont, selon Ma Kou, « par où entrent et sortent les existences » et Conradin Von Lauer les qualifie ainsi de « portes de l'existence ».  Selon Shi Bo, la femelle est le « symbole de la sérénité ». « Arrogance et superbe voilà l’attitude masculine ; mesure et retenue : comportement féminin […] Tous les malheurs viennent de ce que celui qui se met en avant est désavantagé par rapport à celui qui se tient en retrait […] Les qualités de la terre sont la placidité, la lenteur, la rectitude, le repos ; son attitude est la souplesse et sa préoccupation essentielle la stabilité. Elle donne sans jamais contester. Telles sont les lois qui régissent la terre et tel est le comportement féminin. » peut-on lire dans Les Quatres Canons de l’empereur Jaune.[1] Au final, s’agirait-il, comme le dit Léon Wieger de « Laisser les portes du ciel s’ouvrir et se fermer, sans vouloir produire soi même, sans s’ingérer » ? 

 

porte du ciel duguay nb

 

Contre-sens ? 

Re-belotte pour le Père Larre qui, avec son « Devant la Porte du Ciel qui s'ouvre et se referme, saurez-vous éloigner la femelle » commet un contre-sens majeur (lisant wu au lieu de wei) qui en dit long sur une certaine obsession cléricale… De manière un peu plus subtile, on s’interrogera sur la capacité du Sage à ouvrir et fermer lui-même la porte du Ciel. « Peux-tu ouvrir et clore les battants du Ciel en jouant le rôle féminin ? » s’interrogent ainsi François Huang et Pierre Leyris mais aussi Liou Kia-hway, comme s’il y avait un lien de cause à effet. Mais comment le Sage aurait-il un tel pouvoir ?   Stéphen Mitchell, quant à lui, ne s’embarasse pas de la question et nous livre un original « Peux-tu gérer les affaires les plus vitales en laissant les événements suivre leur cours ? » complètement déconnecté du texte chinois. Mais nous sommes désormais habitués… Ajoutons enfin les absences d’interrogation de maintes traductions et nous ne retrouvons au final avec une unique traduction collant au texte : celle de Richard Wilhelm.

 

♫ Peut-on, face à la porte céleste, agir avec l’impassibilité de la femelle ?

 

Réflexions :

1. Même si Vénus est supposée être moins guerrière que Mars, faire le choix de la sérénité est-il vraiment une spécificité féminine ?

2. La célébration de la mesure et de la retenue féminine est-elle toujours pertinente aujourd’hui, à l’heure où tant de femmes semblent être devenues des « hommes comme les autres » ? « La femme est l’avenir de l’homme » chantait Jean Ferrat… En 2002, Pierre Rabhi faisait campagne à la présidentielle avec le slogan « Le féminin au cœur du changement »…  

3. La porte de l’obscur féminin (6-2) devient ici la porte céleste « par où entrent et sortent les existences » mais la femme, par sa capacité à enfanter – prérogative suprême – demeure le lieu de passage de la vie.

4. Le principe d’une porte est de s’ouvrir ou de se fermer mais elle ne pourra rester toujours dans un état sous peine de ne plus être une porte.  Accepter ce qui est naturel, ce qui est dans l’ordre des choses. Il ne s’agit pas d’être passif mais impassible devant ce qui se produit.

 

Le Mendiant

 

[1] Les Quatres Canons de l’empereur Jaune, traduction de Jean Levi, Albin Michel, 2009, p.193

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9 juin 2019 7 09 /06 /juin /2019 08:00

Pourquoi la sagesse est incompatible avec la politique moderne. Comment agir pour l’intérêt général.

 

国,能

ài mín zhì guó, néng wú wéi hū

Aimer – Peuple – Gouverner – Pays, Pouvoir – [négation] – Action – [Interrogation]

 

() [ài] signifie (verbe) aimer, chérir, apprécier, prendre soin, avoir tendance à ou (nom) amour, affection. [mín] désigne le peuple ou les civils, Cf. 3-1. [zhì] signifie gouvernement, gouverner, administrer, manager, contrôler, soigner, guérir ou punir, Cf. 3-4. () [guó] signifie le pays, l’Etat, la nation ou national. A noter que certaines versions du texte ont le caractèreen place de : le non-savoir (voir 10-6) au lieu du non-agir.

 

Trad. 1 :

Peut-on gouverner l'Etat et veiller sur le peuple par la pratique du non-agir, tout en pratiquant le non-agir ?

♥  « Peux-tu aimer le peuple et gouverner l'Etat par le non-agir ? » (Liou Kia-hway)

► Une interrogation sur la possibilité du non-agir en tant que politique de gestion de l’Etat. Le non-agir n’est-il pas contradictoire avec la politique ? La légende personnelle de Lao zi évoque bien un sage abandonnant un pouvoir corrompu. L’histoire aussi de Lie zi ne voulant pas brider sa liberté contre un marocain dans un ministère. 

 

Trad. 2 :

En aimant le peuple et en gouvernant l’État / en dirigeant le groupe, peux-tu être sans action, ne pas agir ? / Aimer le peuple, afin de pouvoir gouverner sans agir

► Une relation de cause à effet inversée (et éloignée des caractères) mais intéressante: l’amour en tant que programme politique suffisant, permettant le non-agir ?

 

administation_nb.jpg

 

Contre-sens ? 

Cette phrase est déjà beaucoup plus simple mais beaucoup de traducteurs continuent d’oublier l’interrogation : « tu peux alors pratiquer le non-agir », le laconique « Ménager le peuple sans intervenir » de Conradin Von Lauer ou l’intéressant « En fait d’amour du peuple et de sollicitude pour l’État, se borner à ne pas agir » de Léon Wieger. D’autres traducteurs continuent à solliciter leur imagination: « sans user de subtilité » de François Huang et Pierre Leyris, « sans faire usage de ton intelligence» de Jean Levi, « sans intelligence » de Rémi Mathieu ou « sans leur imposer ta volonté » de Stephen Mitchell. D’autres insistent sur la notion de savoir (suivant certaines versions du texte): « ne pas recourir au savoir » (Catherine Despeux) ou « tout en restant dénué de savoir » (Richard Wilhelm) La palme revient à cet égard au Père Claude Larre (un habitué du podium) qui nous propose une nouvelle version de 3-7 avec son « Epargnant votre peuple, en conduisant l'Etat, saurez-vous le garder éloigné du savoir ? » Que le concept de [wú wéi] soit toujours aussi mal compris et traduit au bout du dixième chapitre a de quoi laisser perplexe.  Je sais bien que le chinois est du chinois mais tout de même…

 

♫ Peut-on prendre soin du peuple et administrer l’Etat tout en pratiquant le non-agir ?

 

Réflexions :

1. L’intérêt général devrait être l’unique souci des politiques mais nous avons de plus en plus le sentiment que ces derniers – hors échelons locaux ou régionaux - n’aiment pas voire méprisent les citoyens. Du coup, ne feraient-ils pas mieux de ne plus agir et de se retirer de la vie publique ?

2. La posture du sage n’est pas une posture politique. Il se tient à l’écart du système et n’est ainsi pas affecté par ses remous. Celui qui aspire à la sérénité doit naturellement s’éloigner du pouvoir et des médias mais nous limiterions aussi grandement nos ressentiments et notre écœurement en cessant de nous intéresser d’aussi près aux scandales politiques. Casser le thermomètre pour ne pas voir la maladie ?  Pour ceux qui savent qu’ils ont la fièvre, à quoi bon la mesurer et la commenter tous les jours ?

3. Illustration : Sarkozy gesticulait en tous sens et jouait les hyperactifs mais n’aimait pas le peuple (qui le lui rendait bien). Chirac donnait l’impression de ne rien faire mais aimait les gens. L’action détournerait-elle des fondamentaux ?  La non-action préserverait-elle des mécontentements ?

4. La politique consiste-t-elle à suivre le courant (vision taoïste) ou bien à aller à contre-sens ? Quelles sont les marges de manœuvre des états à l’heure de la mondialisation ? Le concept de TINA (There is no alternative, il n’y a pas d’alternative) n’est-elle pas une excuse bien facile pour laisser faire ?

 

Le Mendiant

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2 juin 2019 7 02 /06 /juin /2019 08:00

Pourquoi il est question de préjugés. Comment l’introspection conduit à la perfection. 

 

dí chú xuán lǎn néng wú cī hū

Laver – Eliminer – Profond/Mystérieux – Regarder – Pouvoir – [Négation] – Défaut – [Interrogation]

 

 

() [dí] signifie laver ou rincer. [chú] signifie enlever, éliminer, se débarasser de ou diviser.  [xuán] signifie noir, sombre, profond, obscur, abscons, peu fiable, incroyable ou mystérieux, Cf. 1-8. () [lǎn] signifie regarder, voir ou lire. [cī] signifie défaut, faute, imperfection.

 

Trad.1 :

Peux-tu laver et nettoyer ta vision intime, en purifiant ta vision première, peux-tu être sans tache ?

♥  «Peux-tu purifier ta vision interne / originelle jusqu'à la rendre immaculée ?» (François Huang et Pierre Leyris ou Liou Kia-hway ou Richard Wilhelm : cette phrase a donné du fil à retordre aux traducteurs et certains ne se sont donc pas compliqués inutilement l’existence…)

► Le sujet est la vision elle-même, le regard, susceptible de devenir sans défaut.

 

Trad.2 :

« Pratique la purification, l'élimination et la contemplation du Mystère Profond, tu peux alors être sans défaut. » (Henning Strom)

► Le sujet sans défaut est cette fois l’être qui contemple le Mystère, traduction de, Cf. 1-8

 

bulle_eau_nb.jpg 

Trad. 3 :

Peut-on purifier/nettoyer le miroir mystérieux/sombre/obscur/insondable/secret (de ton âme) pour avoir une vision pure et propre, jusqu'à le laver de toute impureté, le rendre sans tâche ?

♥  «Peut-on purifier le miroir secret jusqu'à rendre le regard pur ? » (Ma Kou)

► Pour Shi Bo « le miroir mystérieux est l'âme détaché de tout désir ».  Fort bien sauf que ce terme de miroir, que l’on retrouve dans plusieurs traductions, n’apparaît pas en chinois…

 

Contre-sens ? 

Les interprétations sont à nouveau légions : « S'il se délivre des lumières de l'intelligence, il pourra être exempt de toute infirmité (morale) » ose Stanislas Julien. « Au-delà du réel, scruter le miroir poli par le regard de l'âme et se laisser aspirer par la lumineuse obscurité. » poétise Conradin Von Lauer.  « Peux-tu purifier ta vision intime jusqu'à ne rien voir d'autre que la lumière ? » s’interroge Stephen Mitchell.  « Pur de toute souillure, contemplant l'Originel, saurez-vous y voir les êtres comme ils sont. » renchérit le Père Larre. « S’abstenir des considérations trop profondes, pour ne pas s’user. » interprète Léon Wieger. « Se purifier en s'abstenant de scruter les mystères, pour rester sain » complètent Marc Haven et Daniel Nazir en inversant les négations… Ouf !

 

♫ Peut-on, en se purifiant (en profondeur), regarder (le Mystère) sans préjugés ?

Cette phrase est à rapprocher de 1-5 : vide d’ego, purifié, sans préjugé, je peux observer l’essence du mystère. Il s’agit toutefois là d’une interprétation – une de plus – qui ne correspond pas tout à fait  à l’ordre des caractères : en toute logiquedevrait alors se trouver après.  La place dedéterminera ainsi l’une ou l’autre des versions.

 

♫ Peut-on, en se purifiant, en se sondant, redevenir sans défaut ?

ou « en se regardant en profondeur ». Une invitation à l’introspection et au « connais-toi toi-même » de Socrate ?

 

Réflexions :

1. « Nos premiers mouvements de l’âme sont nos préjugés » a dit Platon mais cela ne s’adressait pas au nouveau-né, Cf.10-2.  Au commencement, il y a acceptation de ce qui est. Ensuite seulement, sous influence de l’ego, arrivent les interprétations et c’est pourquoi, au final, « Il est plus difficile de désagréger un préjugé qu'un atome » (Einstein)  Remettre en cause un préjugé, c’est nous remettre en question et il n’en est pas question !

2. « Le rire pur, le rire d'enfant, commence avec la pleine acceptation de nos erreurs et préjugés. » a écrit Arnaud Desjardins. Mais l’innocence ne consiste-t-elle pas plutôt à ne pas avoir conscience des erreurs commises, à être naïf ou ignorant ? Sans savoir, comment en effet avoir des préjugés ?

3. La notion de purification renvoie à l’eau de 8-1 et à l’idée de perfection. L’innocence, dans une logique chrétienne, est obtenue par le sacrement du baptême qui nettoie du péché originel, lave de la tâche fondamentale. Un retour en soi, une plongée dans ses entrailles, une introspection aboutirait-il au même résultat ? « J’appelle ici préjugé, non pas  ce qui fait qu’on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu’on s’ignore soi-même » a écrit Montesquieu dans L'esprit des lois.

 

Le Mendiant

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26 mai 2019 7 26 /05 /mai /2019 08:00

 

Pourquoi le concept de Qi est une clé majeure de la santé au naturel. Pourquoi la souplesse est-elle plus importante que la force.

 

zhuān qì zhì róu néng rú yīng ér hū ?

Se concentrer sur – Qi – Résulter en – Souple – Pouvoir – Aussi bon que – Bébé – Enfant – [Interrogation]

 

() [zhuān] signifie spécial, spécialité, spécialiste, expert, se concentrer sur quelque chose ou monopoliser. () [qì] signifie air, gas, atmosphère, souffle, respiration, odeur, manières, esprit, morale, (se) mettre en colère, enrager, insulter ou malmener. Mais c’est surtout l’énergie vitale, l’énergie de la vie dont il convient de favoriser la circulation harmonieuse. [zhì] signifie envoyer, présenter, délivrer, engager, se concentrer (sur quelque chose), se consacrer (à quelque chose), résulter en, causer, fin ou délicat. [róu] signifie souple, flexible, mou ou doux. [rú] signifie comme si, en conformité avec ou être aussi bon que (dans des phrases négatives), Cf. 5-5. () [yīng] signifie bébé ou nourrisson. () [ér] signifie enfant, jeune, fils ou mâle.

 

() [qì] (qui se décompose d’une vapeur s’échappant d’un bol de riz )signifie tout d’abord l’air (frais), les gaz, la vapeur, la respiration, l’atmosphère, le souffle, l’odeur ou le temps qu’il fait (天气 tiānqì, le « souffle du ciel ») La notion de Qi véhicule ainsi à la fois une notion de puissance nourricière et une notion de dynamique perpétuelle, de constant renouvellement. Le Qi est à la fois dans l’univers et dans l’homme, le macrocosme étant à l’image du microcosme.

 

Côté médecine chinoise, le Qi est le flux énergétique omniprésent et universel, l’énergie vitale indispensable au bon fonctionnement de notre organisme, qui circule à l'intérieur du corps par les méridiens et se concentre en trois zones appelées dāntián 丹田 c’est-à-dire « champ d'élixir » ou « lieux réservoirs ».

 

Trad.1 :

Peux-tu, en concentrant ton souffle, devenir aussi souple, atteindre/retrouver la souplesse d’un bébé, d’un nouveau-né ?

♥  « Peut-on concentrer le souffle, pour être aussi souple qu'un bébé ? » (Shi Bo)

 « Peux-tu unifier ta force et parvenir au mol abandon du petit enfant ? » (Richard Wilhelm)

► Selon Shi Bo, « Lao Tseu préconisait le "souffle embryonnaire" pour parvenir à harmoniser les souffles et l'énergie. » Ces traductions mettent l’accent sur la souplesse, synonyme de lâcher-prise et d’abandon. Le nouveau-né est considéré ici comme une figure emblématique de la souplesse et de l’énergie originelle jīng , avant que la vie et ses excès ne viennent les réduire. Préserver son stock de jīng et favoriser la création de Qi sont les facteurs déterminants de la santé et de la longévité.

 

nouveau ne

 

Trad.2 :

S'il dompte sa force vitale et la rend extrêmement souple (jusqu’à t’amollir), concentrant vos souffles/votre respiration, devenant/atteignant au souple il pourra produire, être/devenir comme un nouveau-né/nourrisson/ enfançon

♥ « Concentrant le souffle jusqu'à l'extrême souplesse, peux-tu être pareil à un nouveau-né ? » (Catherine Despeux)

♣ « Contenir la force vitale et la rendre docile, afin de devenir comme le nouveau-né » (Conradin Von Lauer)

► Ces traductions mettent en avant la figure du nouveau-né. Certes, l’objectif du taoïsme est d’initier un retour en soi, vers l’insouciance originelle mais redevenir comme un nouveau-né est évidemment illusoire.

 

Contre-sens ? 

A nouveau, de nombreux traducteurs oublient la particule interrogative et transforment ainsi une supposition en affirmation. D’autres s’étendent sur les fonctions du Qi : « l'expir et l'inspir du souffle » (Ma Kou) ou – attention, c’est alambiqué – « S’appliquer à ce que l’air inspiré, converti en âme aérienne, anime ce composé, et le conserve intact comme l’enfant qui vient de naître. » (Léon Wieger)

Quant à Stephen Mitchell, il zappe simplement le concept de Qi et nous livre un « Peux-tu laisser ton corps devenir souple comme celui d'un nouveau-né ? » consternant de platitude.

 

♫ Peut-on, en cultivant son Qi, devenir aussi souple qu’un nouveau-né ?

Concept central de la philosophie et de la médecine chinoise, le Qi ne peut être traduit sans être immédiatement limité.

 

Réflexions :

1. La médecine chinoise est une approche holistique – corps et esprit considérés comme formant un tout, Cf. 10-1 – qui comprend le massage Tuina, l’acupuncture, la pharmacopée et la nutrition mais également la gymnastique chinoise comme le Taiji Quan 太极拳 [tàijí quán] ou le Qi-gong 气功 [qìgōng] qui signifie « discipline du Qi ».  Voir le site www.therapratique.ch

2. La pratique du sport en Occident renforce et durcis les muscles, entraînant une baisse de la souplesse originelle et la multiplication des risques de fracture. Le sport à haute dose entraîne en outre un vieillissement prématuré de l’organisme, à l’opposé donc de ce que vise la gymnastique chinoise.

3. Le jeune enfant qui fait une chute ne se fait généralement pas mal car il n’a pas peur et ne se crispe pas dans l’attente du choc. « Jusque là, tout va bien… » Restant souple, il peut tomber de plusieurs étages et survivre tandis qu’un adulte, soucieux de sa vie et de la douleur à venir, se rigidifie et, le plus souvent, décède.

4. Attention à ne pas idéaliser les enfants – ou les bébés – et à ne pas sombrer dans un jeunisme imbécile. Si l’enfant était vraiment l’exemple à suivre, comme on l’entend trop souvent, quel serait donc l’intérêt de grandir ?  Il ne s’agit donc pas de rester enfant – ou de redevenir enfant – mais de conserver un peu de la souplesse et de la spontanéité de l’enfance, de préserver sa capacité d’émerveillement et d’ouverture au monde…

5. Voir le film l’Etrange histoire de Benjamin Burton de David Fincher qui relate l’histoire d’un homme qui naît dans la peau d’un vieillard puis rajeunit, jusqu’à la souplesse du nouveau né.

 

Le Mendiant

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19 mai 2019 7 19 /05 /mai /2019 08:00

Pourquoi le concept de l’Un est si difficile à envisager. Pourquoi corps et esprit ne méritent pas leur distinction.

 

 

zài yíng pò bào yī néng wú lí hū ?

Partout avec – Diriger/Protéger – Âme – Embrasser – L’Unité – Pouvoir – [Négation] – Quitter – [Interrogation]

 

() [zài] signifie porter, transporter, charger, partout avec, aussi bien que, au même moment ou simultanément. Prononcé [zǎi], il signifie année, mettre par écrit ou enregistrer. () [yíng] signifie chercher, faire fonctionner, gérer, diriger, protéger, campement ou battalion (d’armée). Dans certaines versions, ce caractère a été remplacé par [hun], traduit par le Maître du Bord du Fleuve en « âme visionnaire », en opposition avec le caractère suivant, traduit par « âme végétative ». [pò] signifie âme, vigeur ou énergie. [bào] signifie porter (dans ses bras), embracer, étreindre, chérir ou adopter (un enfant).  [yī] signifie un, seul, tout seul ou chacun mais aussi – et il est important de le souligner – entier, entier, tout, partout ou entièrement. [néng]signifie abilité, capabilité, talent, énergie, être capable de ou pouvoir, Cf. 7-2. () [lí] signifie quitter, partir, sans, indépendant de, au loin ou absent.  [hū] est une particule interrogative pour exprimer le doute ou la surprise, Cf. 5-3.

 

Trad.1 :

Ton âme peut-elle embrasser l'unité/l’un sans jamais s'en détacher, former avec lui un tout indissoluble ? / Peux-tu former ton âme de façon qu'elle embrasse l'Un ?

♥  « Peux-tu faire à ton âme embrasser l'Un, dans une union indissoluble ? » (François Huang et Pierre Leyris)

  « Peux-tu détourner ton esprit de ses errances et rester dans l'unicité originelle ? » (Stéphen Mitchell)

► Est-il possible à l’esprit de concevoir l’Unité ou bien la notion d’esprit crée-t-elle déjà le "deux" ? Concept d’unicité cosmologique.

 

Trad.2 :

Peut-on par l'âme du corps embrasser l'âme de l'esprit et concevoir l'unité ? / Si ton esprit et ton corps sont en harmonie, en unité, peux-tu jamais perdre ton unité, obtenir qu'elles ne se séparent pas ? / Peut-on unifier l'esprit et l'âme sans les laisser se détacher l'un de l'autre ? / En te cramponnant avec ton âme spirituelle et ton âme corporelle à l’unité, peux-tu empêcher qu’elles se séparent ?

► Est-il possible de se retrouver uni en Soi ?  Concept d’unicité personnel.

 

 

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Contre-sens ? 

Oublier le caractère interrogatif et ainsi affirmer « tu peux alors ne plus La quitter » est bien la moindre des erreurs dans cette phrase aux sens multiples voire contradictoires. La problématique majeure de la plupart des traductions concerne la mise en opposition de l’âme spirituel avec une âme sensitive/charnelle/spermatique, voire une opposition entre l’esprit et le corps, le summum étant atteint par Stanislas Julien avec son « L'âme spirituelle doit commander à l'âme sensitive. Si l'homme conserve l'unité, elles pourront rester indissolubles. » Au final, seules six traductions semblent respecter les caractères (François Huang et Pierre Leyris, Liou Kia-hway, Jean Levi, Rémi Mathieu, Catherine Despeux et Richard Wilhelm), ce qui ne signifie pas pour autant que le sens soit juste, tant cette phrase demeure mystérieuse. Comme le dit Jean Lévi dans son avertissement « on pourrait imaginer le rapport entre la traduction et l’original sous les espèces de la relation entre l’unicité du Tao et la multiplicité des êtres manifestés. L’Un est un comme virtualité indifférenciée et support de toute existence, mais il est infini dans ses manifestations concrètes. » (Le Lao-Tseu, p.52)

 

♫ L’âme peut-elle embrasser l’Un et ne plus Le quitter ?

Au moment même où tu cherches à ce que ton âme embrace l’Unité, comment ne pas la quitter ?

 

Réflexions :

1. L’esprit tourne autour de l’ego et l’ego crée nécessairement la différenciation et donc les antagonismes. Voilà pourquoi il convient de « vider son esprit », Cf. 3-5.

2. « L'homme doit harmoniser l'esprit et le corps » a dit Hippocrate. La vision occidentale dualiste – esprit d’un côté et matière de l’autre – entretenue par nos philosophes d’Aristote à Descartes, a joué un rôle prépondérant dans le mal-être et la solitude de l’homme moderne, tout en nous déconnectant du Tao.

3. En médecine allopathique, ce paradigme – corps d’un côté et esprit de l’autre – retarde la guérison et favorise le développement des pathologies, d’où le succès des thérapies naturelles qui unifient et traitent l’ensemble de l’organisme. Sur les absurdités de cette dichotomie, écouter l’émission corrosive « A votre écoute coûte que coûte » sur France Inter à 12h20 : « L’esprit, c’est elle. Le corps, c’est lui ! ».

4. « Le fameux adage cartésien cogito ergo sum, « je pense donc je suis »,  a conduit l’homme occidental à s’identifier à sa concience, au lieu de considérer l’ensemble de son organisme. […] Séparée du corps, la conscience se voit investie de la mission illusoire de le contrôler, causant ainsi un conflit apparent entre la volonté consciente et les instincts inconscients […] de là des conflits sans fin générateurs de confusion métaphysique et de frustration. Cette fragmentation de l’homme reflète sa vision du monde « extérieur », perçu comme une multitude d’événements et d’objets séparés […] Une telle croyance nous a éloignés de la nature et de nos semblables. » (Fritjof Capra, p.23)

5. Se réconcilier avec son corps et accepter ses imperfections pourrait-être la première étape d’une unicité assumée. Je ne suis pas distinct de mes instincs. Je ne suis pas fautif de mon imperfection. Ce sont eux, c’est elle, qui me caractérisent au contraire comme un être humain. Je suis un Tout constitué du meilleur comme du pire.

 

Le Mendiant

 

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