Un troisième chapitre très polémiste sur les errements de la politique, les raison du mal-être du peuple et les soins à apporter pour retrouver l’harmonie du Tao.
不 尚 贤, 使 民 不 争 | Sans mise en avant des vertueux, nul ressentiment | |
不 贵 难 得 之 货 , 使 民 不 为 盗 | Sans valorisation des biens, nul vol. | |
不 见 可 欲, 使 民 心 不 乱 | Sans multiplication des désirs, nulle frustration. | |
是 以 圣人 之 治 | Ainsi, les soins du Sage : | |
虚 其 心, 实 其 腹 | Vider les esprits mais remplir les ventres | |
弱 其 志, 強 其 骨 | Limiter les aspirations mais renforcer les os | |
常 使 民 无 志 无 欲 | Préserver le peuple des informations, du désir | |
使 夫 智 者 不 敢 为 也 | Et des manipulations des experts | |
为 无 为, 則 无 不 为 | Par la pratique du non agir, faire de l’harmonie la norme |
Cliquer sur le numéro de phrase vous transportera directement aux explications de la phrase en question. Après le désordre ordonné, voici l’ordre apparent…
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Prononciation en chinois (Chap 3 de 1:30 à 2 :04)
Commentaires :
Un chapitre dans une traduction moderne et politiquement incorrecte où le Sage condamne à la fois la gestion des gouvernants mais également les systèmes médiatique et publicitaire modernes. Comme le note fort justement Jean-Claude Pastor « le taoïsme a toujours représenté une menace aux yeux du pouvoir impérial [dans le sens où] l’idéal de désengagement et le refus de l’Etat occupent une place centrale. » [1]
Les autres traductions mettent plutôt l’accent sur le gouvernement du Sage : comment favoriser l’harmonie du peuple et par là même prévenir sa rébellion… Cette vision quelque peu machiavélique du taoïsme ravira les puissants aux manettes mais me semble contradictoire avec la légende d’un Lao Zi quittant un pouvoir corrompu ou d’un Zhuang Zi refusant tout poste au sein du gouvernement de l’Empereur Chu afin de pouvoir, comme une tortue, « continuer à tremper sa queue dans la gadoue ». Au final, le Daode Jing ne vise pas à manipuler le peuple mais au contraire à le libérer des manipulations !
Lao Zi commence par rappeler ce qui conduit le peuple (民) à sortir de la vertu et à oublier jusqu’à l’existence du Tao : la comparaison avec autrui et notamment ceux qui sont admirés selon les normes en vigueur (les hommes "vertueux" ou compétents (贤) des temps passés ; les puissants, les membres de la jet-set ou du show-biz des temps présents), les injustices dans la répartition et la valorisation des biens (货) et, enfin, la multiplication des désirs (欲), qu’ils soient d’ordre sexuel (explosion de la pornographie) ou consumériste (matraquage publicitaire) et donc des causes multiples de frustrations (乱).
C’est aussi l’expérience du dresseur de fauves chez Lie Zi : « « Se conformer au tempérament d’un être le réjouit, le contrarier l’irrite. Telle est la nature des vivants. Joie et colère n’éclatent pas sans motif : toutes viennent d’une outrance. […] Je veille à ne pas exciter sa colère [du tigre] en le contrariant, évite aussi d’exciter sa joie en flattant ses instincts, car la joie se termine fatalement par la colère et la colère se termine par la joie. Le juste milieu est impossible. Je ne veux ni flatter ni contrarier, c’est pourquoi les animaux me considèrent des leurs. » (II-7, p.41-42)
Les hommes seraient naturellement enclins à suivre le Tao s’il n’y avait les pressions du système, alimentées par la corruption des gouvernants. Que ces derniers mettent en place les conditions de l’harmonie universelle et il n’y aura plus de disputes (争), de jalousie, de vol (盗), de mal-être en général. Mais cela supposerait d’être tourné vers l’intérêt général plutôt que personnel, de ne pas accorder d’importance à une pseudo morale (不 尚 贤), à une pseudo richesse (不 贵 难 得 之 货) ou à de pseudo besoins par rapport à des désirs superficiels (不 见 可 欲).
S’ensuit donc les conseils ou les soins (治) du Sage que l’on peut considérer comme étant à l’adresse des gouvernants ou des hommes en général, lui le premier : apaiser le cœur (心)et l’esprit des hommes en limitant la multiplication des informations inutiles et biaisées (知), des désirs (欲). Au contraire, il convient de répondre aux besoins physiologiques, notamment du ventre (腹) et affermir ses os (骨) en maîtrisant son souffle et/ou son essence séminale.
Ce faisant, le peuple ayant atteint un niveau de "pureté", les hommes débrouillards, les finauds ou les experts (夫 智) n’oseront plus prendre le risque de l’action ou des manipulations à leur encontre. C’est ainsi, par la multiplication de la pratique du non-agir (无 为) que l’harmonie redeviendra la norme (則)
Le Mendiant
[1] Jean-Claude Pastor, Toujours sous haute surveillance, Philosophie magazine, septembre 2009, p.77