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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 08:00

Le premier chapitre du Daode Jing de Lao Zi, considéré par Jonathan Star comme la « fondation du texte entier » ou comme « un guide spirituel complet en lui-même ».

 

1

.

Le tao exprimable n'est pas Le Tao.

2

.

Le nom énonçable n'est pas Le Nom.

3

 

Innommable, Origine du Ciel et de la Terre;

4

.

Nommables, mères de toutes choses.

5

, ;

Vide d'ego, j'observe son Essence ;

6

, .

Empli d'ego, je perçois ses manifestations.

7

, ,

Deux noms issus de l’Unité,

8

, ,

Unité mystérieuse, mystère du mystère,

9

.

Porte de la compréhension.

 

Cliquer sur le numéro vous transportera directement aux explications de la phrase en question. Après le désordre ordonné, voici l’ordre apparent...

 

 

  Belles musique et images mais prononciation non académique...

 

 

 

  L’enthousiasme est là mais la compréhension reste aléatoire... 

 

 

 

  Plus classique mais quelques variations par rapport au texte…


   

 

 

Voilà qui est mieux avec, en prime, musique et cérémonie taoïste ! 


 

 

 

Commentaires:

 

D'emblée, Lao Zi annonce le caractère insaisissable du Tao: on ne peut l'énoncer, on ne peut lui donner de nom, son sens est obscur!  Il apparaît ainsi illusoire d'essayer de le traduire (Voie, Chemin, Vérité, Principe,…) ou de le tracer sans trahir aussitôt son essence, sans le limiter à un concept plus ou moins vague et donc le perdre.

 

"Au commencement était le Verbe / la Parole / le Logos" disent les traductions de la Bible[1] (Prologue Evangile selon St-Jean). "Au commencement est le Tao" (traduction de la Bible en chinois ) annonce bien Lao Zi mais essayer de le définir, de l'exprimer par la parole (), de la raisonner (le terme grec logos λόγος désigne à la fois la raison-intelligence et son expression, le langage) ou de l'associer à un autre concept tel que Dieu (la suite de l’Evangile: le Tao est avec Dieu , le Tao est Dieu ) est illusoire. Un nom ou un concept sont en effet par essence subjectif et limitatif, notre intelligence étant nécessairement incomplète (« Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien » de Socrate ce à quoi Lao Zi répliquera « Mieux vaut ne pas savoir que l’on sait »[2]). Le Tao par contre est complétude, présent en tout mais aussi flux, énergie dynamique, mouvement perpétuel, en constante évolution et donc par nature indéfinissable.

 

Le Tao, innommable (无名) donc, est l'origine () du Ciel et de la Terre ( ) c'est-à-dire de l'Univers qui, lui, est nommable (有名) et mère () des dix mille êtres c'est-à-dire de tous les êtres, de toutes les choses.  S'il n'est pas possible de définir le Tao, il est possible d'en prendre conscience: le détachement (attribut du Sage), l'absence de préjugés ou de désirs  () permet de découvrir son germe, son essence, ses subtilités () tandis qu'un homme plein de préjugés, prisonnier de ses désirs, ne peut observer que  ses limites, ses manifestations factuelles, par chance. () Deux perceptions possibles d'une seule et unique chose, source obscure, mystérieuse (), obscurité dans l'obscurité qui devient pourtant - tout comme le négatif par le négatif se transforme en positif - la porte () de toutes les merveilles (), le cheminement vers l'intelligence, la compréhension de tout ce qui est. Mais encore convient-il d’être assez réceptif pour ouvrir la porte, comme dans le tableau Light of the world de William Hunt, où l’on remarque les fleurs qui envahissent la porte… et l’absence de poignée car c’est une porte qui s’ouvre… de l’intérieur !

 

lightoftheworld_william_hunt.jpg

« La référence de tous ces mystiques est le Pseudo-Denys qui distinguait entre Dieu en lui-même (ousia) et Dieu dans ses biens, ses manifestations, ses actions (energeia). Dieu en lui-même est inconnaissable. […] Être en route vers ce Dieu en lui-même, c’est être en route vers le « nuage de l’inconnaissance » - chez Eckhart, la « Déité ». Par contre, Dieu dans ses biens, dans ce qu’il dit et fait est connaissable. Mais la source, la source non sourcée, ne peut être connue (la connaissance, c’est toujours rapporter à du déjà connu) ; on remonte à l’origine et il n’y a rien en amont de l’origine. » précise Bernard Durel dans son commentaire du Nuage de l’inconnaissance, texte anonyme mystique du XIVe siècle.[1]

 

Relevons enfin le magnifique « jeu de mot » de la première ligne: 非常 [fēicháng] signifie soit, si l'on sépare les idéogrammes, "non commun" ou "non perpétuel", soit, si on les regroupe "extraordinaire" pour une interprétation alors inverse: "Le Tao que l'on peut énoncer est le sublime Tao, Le nom qui peut le nommer est le sublime Nom". Le Tao est à la fois "commun" puisqu'à la base de toutes choses, présent partout et "hors du commun" puisque indéfinissable... Approche lumineuse yang après le sombre et mystérieux yin. Yin et yang qui ne s'opposent pas mais se complètent et se nourrissent l'un de l'autre. Ce premier chapitre contiendrait ainsi la dynamique et les manifestations sous deux formes du Tao pour une démonstration par l'exemple plutôt que par un long discours. La compréhension permet la clarté, le dépassement des préjugés permet de percevoir l'essence, l'absence d'ego permet d'accéder à la réalité et le Tao, à première vue obscur, se révèlera alors dans toute sa clarté...

 

Le Mendiant

 

[1] Le nuage de l’inconnaissance, commentaires de Bernard Durel, Albin Michel, 2009, p.35

[1] Il va de soi que les textes originaux en hébreu (Genèse) ou en Grec (Evangiles) offrent davantage de souplesse et de subtilités que les traductions qui ont été faites : La bible que l’on nomme bible n’est pas La Bible ! 

[2] Fritjof Capra, Le Tao de la physique, Editions Sand, 1985, p.28

 

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2 février 2018 5 02 /02 /février /2018 08:00

La révélation finale du premier chapitre du Daode Jing : qui y a-t-il donc derrière cette mystérieuse porte ?  Sur quoi l’obscurité et le mystère débouchent-ils ?

 

.  

zhòng miào zhī mén

Nombreux - Subtilité - [liaison] – Porte

 

() [zhòng] signifie multiple, nombreux, foule ou multitude. [miào] Cf.1-5. () [mén] signifie porte, entrée, barrière, valve, interrupteur, catégorie, famille ou école de pensée. 

 

Traductions :

Porte de toutes les merveilles, du subtil, du mystère merveilleux, de myriades secrètes, de toutes les choses spirituelles, de tous les secrets, de tous les prodiges, de l’absolu du merveilleux, de toutes les essences,…

♥ « La porte vers toute compréhension. » (Stephen Mitchell)

► Le mystère débouche sur l’essence, les subtilités du Tao c’est-à-dire l’Eveil !  « La porte du secret des merveilles est la porte générale où s’engendrent tous les changements et tous les mouvements. Cette porte est en fait le Tao » selon le maître calligraphe Shi Bo. « Porte par laquelle ont débouché sur la scène de l'univers, toutes les merveilles qui le remplissent. » clarifie Léon Wieger. « C’est le puits qui ne tarit jamais. Merveille des merveilles, le négatif ultime s’avère être le positif ultime ! » complète Douglas E. Harding[1]

Catherine Despeux prolonge les interprétations du « Maître du Bord du Fleuve » : « Celui qui comprend qu’à l’intérieur du ciel s’en trouve un autre et que le soufle reçu par chacun est d’une densité variable élimine les passions et les désirs pour se maintenir au centre (Cf. 5-5) et dans l’harmonie : telle est la porte d’entrée dans la connaissance de la Voie » (p.162)

 

porte nb

 

♫ Porte de la compréhension. 

Le terme de "Porte" rappelle aussi la légende du Daode Jing : après avoir été archiviste royal, Lao Zi perçu la décadence de l’Etat des Zhou et décida de partir vers l’ouest. Au moment où il allait franchir les limites, la porte du royaume, il fut arrêté par un gardien (gatekeeper en anglais c'est-à-dire gardien de porte) qui lui demanda de retranscrire son enseignement, ce qu’il fit en quelques heures, d’un seul jet de quelques 5000 caractères. Puis il franchit la porte…

 

Réflexions :

1.  Pas de panique : la compréhension est au bout du cheminement!  Tout est compliqué avant d’être simple !

2. Ce sont dans les moments les plus sombres que l’on se découvre le plus, que l’on est susceptible d’apprendre le plus, de remettre en question une vie déconnectée du rythme du Tao. Toucher le fond permet de remonter le plus vite à la surface (pour autant que l’on ne soit pas en haute mer avec des palliers de décompression à respecter !)

3. La lumière surgit des endroits les plus sombres, se cache au cœur des ténèbres. La lumière n'existe que par la pénombre et vice-versa. Quidquid luce fuit, tenebris agit (« Tout ce qui fuit à la lumière s’avance vers les ténèbres ») « et réciproquement » ajoute Nietzsche[2] ,comme le montre la figure du Tai Chi avec les notions du Yin et du Yang.

4. « Etre est sans attribut. Ce simple état d’être est méditation, c’est « dhyâna » - et c’est écrit sur la porte. La porte s’ouvre instantanément, si vous êtes un être simple – pas d’émotions, pas de pensées ; aucun nuage autour de vous, limpide ; aucune fumée autour d’une flamme, rien que la flamme – vous êtes entré. » (Osho[3])

 

Le Mendiant

 

[1] Douglas E. Harding, La troisième voie, Albin Michel, 2005, p.267

[2] Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, LGF, 1991, p.188

[3] Osho, L’Evangile de Thomas, Le Relié, 1994, p.72

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31 janvier 2018 3 31 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi tout apparaît d’abord comme sombre ou mystérieux… Pourquoi le Tao est nécessairement le plus grand des mystères…

 

,  

tóng wèi zhī xuán, xuán zhī yòu xuán,

Ensemble – Signification - [liaison] – Mystérieux, Mystérieux - [liaison] – Encore – Mystérieux

 

() [wèi] signifie dire, appeler, parler de, nom, signification ou sens. [xuán] signifie noir, sombre, profond, obscur, abscons, peu fiable, incroyable ou mystérieux. Selon Catherine Despeux, il s’agit, dans le Laozi, du qualificatif le plus élogieux pour désigner la Voie : « Xuan désigne ce quelque chose dans quoi on plonge sans pouvoir saisir rien de précis, mais dont le charme et l’effet sont infinis. C’est la saisie gobale et totale des choses au-delà de l’aspect limité des sens, notamment du regard. » (p.67) [yòu] signifie aussi, une fois de plus, encore ou de nouveau.  

 

Trad. 1 :                    

Ce fond unique, est profond, constitue l’origine, s’appelle ténèbres, mystère, obscurité, secret. Profondes, doublement profondes, obscurité de l’Obscur, ténèbres dans les ténèbres, mystère dans le mystère, de mystère en mystère, mystère suprême,…

♥ « Ce deux-un est mystère » ((François Huang et Pierre Leyris) « Mystère du mystère [… ] » (Ma Kou)

♣ « Pensés ensemble: mystère! » (Docteur Marc Haven et Daniel Nazir) « Obscurcir cette obscurité » (Liou Kia-hway)

► Le Tao multiplie les couches de ténèbres, à mesure que l’on se dirige vers son fond (sa source, son essence) infini.  Rien n’est plus mystérieux que le Tao qui pourtant se révèle être…

 

Trad. 2 : (première partie : )

Ce que nous appelons unité demeure un mystère, ne peut-être comprise / L’Unité est incompréhensible, hors d’atteinte de l’esprit.

► Ces interprétations de Jonathan Star mettent l’accent sur en tant que principe de l’Unité (Cf.1-7) : le sens () de l’Unité () est un mystère ()

 

mysterious nb

 

Trad.3 :

« Cette commune origine est dite insondable. Cette insondable insondabilité… » (Catherine Despeux)

► « Si l’on parle d’insondable, c’est faute de pouvoir la qualifier […] Mais si l’on considère « insondable » comme une dénomination, alors on s’en éloigne. C’est pourquoi il est dit ensuite : « insondable insondabilité » (commentaires de Wang Bi, p.163) Le commentaire de Lao zi par Cheng Xuanying au VIIe siècle est encore plus clair : « L’homme qui a des désirs ne s’attache qu’à l’existence. Celui qui n’a pas de désirs s’attache en outre à la non-existence. [Lao zi] parle donc d’un premier "Mystère" pour rejeter ces deux liens. Puis il craint que l’adepte ne s’attache à ce "Mystère". S’il dit donc « encore Mystère », il repousse à nouveau la seconde maladie. Ainsi, non seulement il n’y aura pas d’attachement, mais il n’y aura pas non plus d’attachement au non-attachement. C’est là le rejet (des deux extrêmes) ; aussi dit-il « Mystère et encore Mystère ». (cité par Anne cheng, p. 254, à propos de l’Ecole Chongxuan, du « Double Mystère » […] « à ce qui a été aussi appelé « le double oubli », le redoublement étant l’oubli de l’oubli »)

Autre interprétations avec le « Maître du Bord du Fleuve », « L’insondable désigne le ciel : ceux qui ont du désir et ceux qui n’en ont pas reçoivent tous le souffle du ciel […] dans le ciel se trouve un autre ciel. Le soufle que chacun reçoit est d’une densité plus ou moins grande […] idée communément répandue dans la Chine ancienne selon laquelle les qualités morales et la caractère des individus dépendaient de la quantité et de la qualité du souffle qu’ils recevaient du ciel à la naissance et qui constituait leur ming, c’est-à-dire à la fois leur force vitale et leur destin.» (Catherine Despeux, p.161) Il serait néanmoins étonnant que Laozi puisse reprendre ce « déterminisme » ou principe de relative irresponsabilité à son compte.

Quoi qu’il en soit, ces dernières interprétations coupent la phrase en deux, la seconde partie devant alors plutôt être reliée à la phrase suivante. Rappellons que rien n’est moins sûr, dans le Daode Jing, que les ponctuations et que le découpage exact du texte demeure donc un… mystère !

 

Contre-sens ?

Pas grand-chose à signaler sinon une étrange traduction de en « origine », qui, selon Jonathan Star, s’explique par l’utilisation de [yuán] qui signifie premier, original, principal, basique, fondamental, dans certains textes.

 

Unité mystérieuse, mystère du mystère

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Unité obscure, superposition de mystères »  

Ou alors : « Unité (appelée) obscure, obscurité de l’obscur… » : l’obscurité étant une désignation qui éloigne du Tao (puisque 1-1), il faut rajouter une couche d’obscur

 

Réflexions :

1. Il fait de plus en plus noir à mesure que l’on descend dans le puits mais c’est là que l’on trouve l’eau de la vie !

2. Descendre au fond de soi révèlera différentes strates de mystère pour finalement arriver à l’essence de notre être. Est-il besoin de s’attarder sur ces différents mystères (psychanalyse) ou bien vaut-il mieux continuer à descendre pour ensuite remonter ?

3. « Afin de rencontrer l’Être dans une expérience il faut donc se permettre d’aller vers le noir, vers l’ombre, vers les ténèbres. On retrouve cette exigence dans les mythes de toutes les traditions, dans les contes de fées. Sur le chemin, nous devons accepter les instincts primaires, le bassin, qui représente la transcendance de la terre. Nous devons accepter la matière (ce mot vient de mère). Nous devons accepter la grande Mère. » (Karlfried Graf Dürckheim[1])

4. L’Unité est difficile à percevoir, voire incompréhensible, nous qui avons tendance à distinguer et nommer chaque chose. Si l’on ne peut plus croire ce que l’on voit, alors ne peut-on pas douter de tout ?

 

Le Mendiant

 

[1] Karlfried Graf Dürckheim, Le Centre de l’Être, Albin Michel, 1992, p.74

 

 

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28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 08:00

Le principe fondamental de l’Unité, de l’Un, appel à la coopération et à l’harmonie plutôt qu’à la compétition et au stress de la dualité.

 

 

cǐ liǎng zhě tóng chū ér yì míng

Ces - Deux - [substitut] - Ensemble - Sortir - [conj.] - Différent – Nom

 

[tóng] signifie similaire, semblable, ensemble ou en commun [chū] signifie sortir, produire, arriver, excéder, dépasser,… [yì] signifie différent, étrange ou inhabituel.

 

Traductions :

Ces deux choses, ces deux perceptions du Tao, ces deux états, aspects, ont la même origine, le même fond, la même source, une même souche, sont issus de l’Un mais ont (sont désignés par) des noms différents, sont qualifiés différemment.

♥ « Deux noms issus de l'Un » (François Huang et Pierre Leyris)

► Le Tao est unique (Un) mais perceptible de diverses manières (essence ou manifestations, non-existence ou existence), fonction de l’éveil ou de la non-action de la personne. Deux découle du Un. Lao Zi affirme ici le principe de l’Unité, que l’on retrouve dans toutes les philosophies orientales ainsi que chez Héraclite, considéré comme le « taoïste grec » : « Il est sage que ceux qui ont écouté, non moi, mais le discours (logos λόγος), conviennent que tout est un » (Fragments, p.23)

 

 

 

mains_noir_blanc.jpg

 

 

Contre-sens ?

Peut-on considérer que fasse référence au désir et au non-désir (Cf. 1-5 et 1-6) ?   La source peut effectivement être la même (le coeur de l'homme) mais nous ne parlerions plus alors du Tao mais de l’homme, ce qui serait contradictoire ! Jonathan Star souligne que le débat de savoir à quoi faisait exactement référence a divisé les experts durant des siècles mais précise que peut aussi signifier "cette paire" ou "cette dualité", faisant ainsi référence à un principe général, en référence à toutes les dualités précédemment énoncées : tao exprimable contre Tao, nom énonçable contre Nom, sans-nom contre avec-nom, origine contre mère, sans-désir contre avec-désir, essence contre manifestations.

 

♫ Deux noms issus de l’Unité

Majuscule puisque référence au Tao.

 

Réflexions :

1. Des noms différents ou des interprétations différentes font souvent référence à la même réalité.

2. Il y a, face à un même évènement, autant de perception qu’il y a d’individus. La même pluie peut ainsi fâcher quelqu’un (vacancier) et en réjouir un autre (paysan).

3. 一分为二 [yīfēnwéi'èr], un se divise en deux, rien n’est jamais tout blanc et rien n’est jamais tout noir !

4. Tous les êtres sont constitués à partir de la même matière, de la même substance. Les hommes partagent 99.4% de leur patrimoine génétique avec les singes bonobos. Comment ne pas alors considérer les hommes, au-delà de leurs noms différents, comme frères ?

 

Le Mendiant 

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 08:00

L’incidence de notre ego sur la perception et la compréhension de ce qui est… Pourquoi ma vision du monde est-elle forcément egocentrique…

 

, .

cháng yǒu yù , yǐ guān qí jiǎo/jiào

Ordinaire/Souvent – [Il y a] - Désir - A cause de - Observer - Ses - Limites

 

[jiǎo] est un caractère que l’on rencontre peu fréquemment seul et qui fait référence à la chance : c’est indirectement, par chance, que l’homme ordinaire peut saisir certains aspects du Tao. Prononcé [jiào] , il signifie limite, frontière, borne ou faire le tour.

 

Trad. 1 : Habituellement soumis aux passions, aux préjugés, dans la volonté, dans l’avoir du désir, dans l’être, pris dans le désir, on contemple ses limites, ses manifestations, ses aspects manifestes, sa forme bornée, ses indices.

♥ « Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée » (Conradin Von Lauer)

► L’homme "ordinaire", centré sur lui-même, empli de désirs, ne peut percevoir le Tao que par chance, par accident, via ses manifestations visibles et donc forcément limitées et bornées. « Le cerveau ancien ne peut jamais être libre […] il est par conséquent incapable de découvrir ce qu’est la vérité » témoigne Krishnamurti (p.482) pour qui le cerveau ancien est le cerveau conditionné, « la réaction du temps, de la mémoire » (p.473). Cette phrase est à mettre en parallèle avec 1-4 : noms et ego permettent de distinguer toutes choses , ces choses étant des manifestations du Tao.

 

Trad. 2 : « Ceux qui demeurent dans la volonté ne voient que ce qu'ils recherchent » (Alexis Lavis)[1]

► Les hommes d’action (par opposition au non-agir du Sage) ne perçoivent en fait que ce qu’ils espèrent trouver, leurs sens participant nécessairement à une "personnalisation" du Tao… caricature du Tao véritable. « Ils sont maladroits dans l’art de vivre […] Ils parlent et agissent, ils vivent, dans des mondes qu’ils s’inventent, et donc dans une sorte de distraction à l’égard du réel et d’eux-mêmes. » (Héraclite/Conche, p.37). Ils ne vivent que dans leur monde sans voir le monde (p.40) « Ils sont donc présents au monde et à ce qui arrive, mais en même temps absents à la vérité de ce monde. » (p.49)

 

paysage nb 

Contre-sens ?

Au-delà de traductions toujours en chinois du style « En ce toujours étant considérons le Terme » ou de celles qui font l’impasse sur le (Cf. 1-5), certains auteur ont conservé le Tao en tant que sujet et renversé le sens de la phrase pour, ainsi, « son être éternel » que nous pourrions voir dans ses « manifestations visibles » alors que Lao Zi dit le contraire : l’essence ne peut être perçue qu’en faisant abstraction des manifestions perçus par nos sens et esprit individuel.  De même, comment par un « désir éternel » le Tao pourrait-il « manifester une limite » ?  Traduire [jiǎo] par « abords » du Tao peut également prêter à confusion quant aux limites du Tao. De même, comment quelqu’un « constamment dans le désir » pourrait-il « observer la périphérie où s’en tiennent les gens vulgaires de ce monde » (Catherine Despeux) alors qu’il fait par définition également partie de la masse ?  Comment observer activement l’extérieur lorsque l’on est passivement à l’intérieur ? 

 

♫ Empli d’ego, je perçois ses manifestations 

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Soumis à l’ego, j’interprète ses manifestations »

Empli de soi, l’homme est tributaire de ses sens et de son mental. Il perçoit le monde tel qu’il semble être c’est-à-dire composé des multiples choses nommées précédemment (有名, Cf.1-4). Le problème est que les manifestations, les représentations de ces choses sont des illusions qui ne correspondent pas à la Réalité. On pourrait ainsi dire « Sous l’emprise de l’ego, je vis dans l’illusion » ou, avec Héraclite « présents, ils sont absents » (p.48) A noter également que l’une des significations du mot brahman dans l'hindouisme est « la seule Réalité dont la manifestation (Māyā) n'est qu'une illusion » (Wikipedia).

 

Réflexions :

1. Rempli de moi-même, je peux percevoir des choses mais je les interprèterai, d’abord par mes sens (dont la sensibilité est limitée) puis selon mes propres schémas et préjugés. Cf. l’ouvrage L’Alchimie du Succès[2]. Ainsi, ma vision du monde ne pourra être qu’egocentrique. Mon ego dresse un mur, une limite, à ma compréhension de ce qui est.

2. Découlant de ce qui précède, je suis dans une très large mesure responsable de ma vision et de mon interprétation du monde. La douleur, selon les bouddhistes, repose sur ces illusions. « Plus vous vous identifiez à vos pensées, à vos goûts, à vos jugements et à vos interprétations, c'est-à-dire moins vous êtes présents en tant que conscience qui observe, plus grande sera la charge émotionnelle » rappelle Eckhart Tolle.[3]

3. Idem avec les médias qui se concentrent sur ce qui est extra-ordinaire, ce qui sort vraiment de l’ordinaire : les accidents, les meurtres, les catastrophes, autant de points noirs sur une feuille blanche. Le monde est heureusement plus que cela !

4. Trop occupé à penser à moi, je perçois bien que quelqu’un me parle, je note ses manifestations, mais le sens de ses paroles me dépasse complètement. La relation à l’autre n’est pas concrète mais superficielle.

5. Quelle est donc notre degré de liberté ? Comment donc atteindre une réflexion objective, libre de tout attachement, de tout sentiment ? En Chinois, le mot pour désigner l’esprit [xīn]  est le même que pour désigner le cœur, les sentiments et les intentions: la pensée reste tributaire de notre vécu et de nos sensations !

 

Le Mendiant

 

[1] Alexis Lavis, La voie du Tao, Pocket, 2010 qui, à quelques exceptions, comme ici, reprend la traduction de Stanislas Julien.

[2] Benoît Saint Girons, L’Alchimie du succès, Dangles, 1997.

[3] Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment présent, Ariane Editions, 2000, p.42

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24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi le détachement est nécessaire pour observer quelque chose… Comment la société de consommation nous empêche-t-elle d’accéder à la Réalité…

 

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gù cháng wú yù, yǐ guān qí miào

Ainsi – Ordinaire/Souvent – [Négation] – Désir -, A cause de – Observer - Sa - Subtilité

 

[gù] signifie incident, raison, cause, intentionnellement, ainsi, pour cette raison, ami, connaissance ou mourir. [cháng] signifie toujours, souvent, fréquemment, habituellement, commun, normal ou ordinaire. [yù] signifie le désir, le souhait ou la volonté. [yǐ] signifie à cause de, parce que, afin de, ainsi ou alors (verbe) utiliser. [guān] signifie (verbe) regarder ou observer ou (nom) la vue ou la conception de la nature des choses[qí] signifie son, sa, ses, cela, cet, etc. [miào] signifie merveilleux, excellent, ingénieux, intelligent ou subtil.

 

Traductions :

C’est pourquoi, si l’on est ordinairement sans passion, sans désir, dépourvu de désir, dans le non-vouloir, dans le non-être, en l’absence de tout désir, on perçoit/observe/contemple les/ses merveilles, l’essence, la vérité, son secret, sa racine, l’inconnaissable.

♥ « Par le non-être, saisissons son secret » (Liou Kia-hway)

♣ « Le vide de l'être médite la racine de toutes choses » (Ma Kou)

► Seul l’homme détaché des concepts, des préjugés, des interprétations, bref de son ego, peut se fondre dans le Tao et observer son essence. « Quand l’esprit humain, absolument arrêté, est complètement vide et calme, il est un miroir pur et net, capable de mirer l’essence ineffable et innommable du Principe lui-même » précise Léon Wieger. « L’Homme grand […] se fait le compagnon du monde sous le Ciel. […] Son visage et son corps sont unis à la Grande Unicité, la Grande Unicité dépourvue d’ego. Sans ego, comment acquérir quelque chose ? Ceux qui ont de la considération pour les acquisitions sont les hommes de bien d’antan (qui prisent les vertus acquises). Ceux qui ont de la considération pour la non-acquisition sont les amis de l’univers. » (Zhuang Zi XI, via Isabelle Robinet, p.180) Cette phrase est à mettre en parallèle avec 1-3 : absence de nom et absence d’ego pour remonter à l’origine ou percevoir l’essence .

 

meditation nb 

Contre-sens ?

Au-delà de traductions toujours en chinois du style « En ce toujours-n'étant considérons le Germe » (François Huang et Pierre Leyris) ou de celles qui font l’impasse sur [yù]  (« Il n’y a pas ») ou le traduisent mal (« attrait »), certains auteur ont conservé le Tao en tant que sujet : son « absence permanente » nous inviterait à « contempler le mystère » ou alors un « Non-désir éternel » représenterait son essence. Etonnant alors que le Tao est présent partout et en tout et ne saurait avoir de désir ou de volonté.  A noter aussi que si traduire [yù]  par "désir" ou "passion" est correct du point de vue de la traduction, ces termes méritent alors une explication afin d’en bien saisir toute la portée : désigne en fait toutes les manifestations d’un mental individualiste ou egotiste qui ne peut percevoir que les illusions de la réalité. En hindouisme, on parlerait de samskāra c’est-à-dire d'un « acte psychique, conditionné, et conditionnant. » (Wikipédia) Par extension, signifierait donc l’absence d’activité mentale. « It can be compared to the yogic state of unmana (beyond the mind), nirvakalpa (free of thought-constructs), or samadhi (pure or undivided awareness). This is the state beyond thought; it is the state of pure “I” awareness, the boundless state or unity that is free of ego and limitations. This is the mental state of Enlightened Being, of one in perfect harmony with Tao. » (Jonathan Star, p.283)  Traduire par "non-être" est un peu plus clair mais encore faut-il que "non-être" fasse bien référence à l’état d’esprit de l’observateur et non au Tao lui-même !

 

♫ Vide d’ego, j'observe son Essence.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Libéré de l’ego, j’appréhende son Essence »

Sans ego, débarrassé de l’ego, je comprends, je me fonds dans son essence. « N’ayant pas d’orgueil dans son cœur, [l’homme de bien] peut dépasser la doctrine des noms pour s’adonner au spontané. » (Poète Xi Kang, Se délivrer du moi, cité par Anne Cheng, p.326)

 

Réflexions :

1. Il convient de vider sa « tasse mentale » pour avoir une chance de profiter des enseignements, d’apprendre des expériences. La réalité se trouve en effet au-delà des apparences  et n'apparaît qu'à ceux qui dépassent les préjugés, les illusions de leur ego.

2. L’exercice de la méditation est peut-être la meilleure voie pour percevoir ce qui est. « Les sages orientaux parlent d’une expansion de leur expérience du monde à des niveaux plus élevés de conscience » (Capra, p.183)

3. « Si l’on met à part certains courants de la phénoménologie, la philosophie européenne se définit comme une saisie du réel. Pour la pensée indienne, la quête de vérité passe par un dessaisissement. Car dans sa visée intentionnelle, la saisie du moi, principe d’identification, me place dans un rapport faux aux choses : je les englobe dans un mouvement de retour à moi et y projette, malgré moi, les expériences passées qui m’habitent. Et je suis tentée d’ériger cette parcelle du réel identifiée par moi en critère de vérité, car, dès lors que saisie, elle me constitue. A l’inverse, dans l’acte de dessaisissement, je me rends de plus en plus réceptive à la complexité du réel, qui est de l’ordre d’un champ absolument insaisissable ; mais dans lequel je peux me situer. » (Gisèle Siguier-Sauné[1])

4. Les passions sont autant de voiles, d’écrans, à la juste perception de la vie. Sans désir, sans volonté, sans envie, en limitant l’obsession de la performance ou du « toujours plus » on apprécie mieux l’instant présent et on limite les frustrations. Contentement personnel plutôt que développement impersonnel !

5. La société de consommation, en multipliant nos désirs, nous éloigne de la compréhension de ce qui est essentiel, nous empêche de retrouver le contact avec le Tao, avec notre vraie nature, qui est complète et ne requiert rien d’autre! Les hommes politiques, en parlant sans cesse de « pouvoir d’achat » garantissent les frustrations et les jalousies (Cf. 3-2) qui sous-tendent le « pouvoir économique ».

 

Le Mendiant

 

[1] Gisèle Siguier-Sauné, Le corps est parole, communication, échange, Philosophie Magazine, Septembre 2009, p.43

 

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22 janvier 2018 1 22 /01 /janvier /2018 08:00

La puissance des mots et les responsabilités qui en découlent... Notre rapport au monde et aux autres…

 

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yǒu míng wàn wù zhī mǔ

Avoir - Nom - Dix mille - Êtres - [liaison] – Mère

 

[yǒu] signifie à la fois avoir, posséder (verbe avoir, il y a)  et exister, il est quelque chose (verbe être). Il s’agit de l’autre face de [wú] et on les retrouvera en opposition dans 2-3. 有名 [yǒumíng] signifie bien connu ou célèbre mais on détachera à nouveau les caractères pour une mise en parallèle avec le de la phrase précédente. () [wàn] est l’unité de mesure pour dix mille et signifie ainsi également un très grand nombre, myriade, absolument, tous. [wù] signifie entité, chose, contenu, substance mais est aussi le monde extérieur distinct de soi-même. 万物 [wànwù] signifie ainsi toutes les choses sur terre. [mǔ] est la mère, le parent ou la femelle chez les animaux.

 

Trad. 1 :

Avec un nom, l’ayant-nom, le qui-a-nom est la mère des dix mille êtres, de toutes les choses particulières, de tous les êtres, de tout ce que nous percevons, choses et êtres.

♥ « En tant que mère des dix mille êtres, il a un nom » (Henning Strom) « Ce que l'on peut qualifier est la mère des dix mille êtres. » (Catherine Despeux)

► Dans la continuité de 1-3, le ciel et la terre, que l’on peut nommer puisque entités matérielles, sont à l’origine de toutes les créatures, de toutes les choses. « Le ciel et la terre sont le père et la mère de tous les êtres. Par leur union, ils forment le corps ; par leur séparation, on retourne à l’origine » (Zhuang Zi, XIX[1])

 

Trad. 2 :

« Les noms donnent leur Mère aux Dix milles êtres.» (Claude Larre)

♣ « Nommer est l'origine de toutes choses particulières. » (Stephen Mitchell)

► D’un point de vue plus général, donner un nom caractérise chaque chose et les "créés" ainsi vis-à-vis de notre esprit, les rends distinct. La « mère des dix mille êtres » serait ainsi ici notre cerveau, notre raison qui aime différencier et cataloguer, oubliant l’unité fondamentale du Tao. Cette interprétation est cohérente avec la suite qui traitera de l’état d’esprit adéquat pour percevoir le Tao.

 

Trad.3 :

L'être, l’être avec un nom, le terme Être est/indique la mère de toutes choses

♥ « L'existence est la mère de toutes les choses » (Shi Bo)

► Quoi de plus logique en effet que de dire que l’existence, ce à quoi on a donc pu attribuer un nom, est le géniteur de toutes les choses (ayant également des noms) ? L’idée est encore renforcée si l’on interprète 万物 au sens littéral : « l’être est la mère des dix milles êtres ». Ce processus infini de multiplication est en cohérence avec la dynamique du Tao, « matériel et élément de base de tout ce qu’il y a de concret dans notre univers » selon Shi Bo.

 

terre nb

 

♫ Nommables, mères de toutes choses.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Noms, mères de toutes choses »

« S’il y a délimitation (fen), on perd l’absolu […] Tous les êtres ont une désignation, un nom, qui par là même en nie l’absolu. Dès qu’il y a nom, il y a délimitation ; dès qu’il y a forme, il y a finitude » (Wang Bi, cité par Anne Cheng, p.332)

 

Réflexions :

1. La pensée est structurée par notre langage. Notre vision des choses est influencée par la manière dont nous appelons ces choses. Si nous avions donné aux chats le nom d’« araignée », il y aurait nettement moins de personnes atteintes d’arachnophobie!

2. On craint ce qu’on ne connait pas et donner un nom rassure. Un « alien », du latin aliēnus qui signifie « être étranger à quelqu'un ou quelque chose » (merci wikipédia !) sera ainsi toujours moins rassurant – à tort – qu’un « Xénomorphe », déjà catalogué et dûment référencé !

3. Prononcer un mot suffit souvent à provoquer des sentiments ou une réaction. Le mot « sexe » prononcé dans une assemblée suffit à induire un silence relatif. L’avertissement « attention à ne pas avoir peur » à un enfant suffit à lui faire prendre peur. Les mots sont « mères » de beaucoup de maux !

4. Nous sommes, comme toutes les autres créatures, des enfants de la Nature, des manifestations du Tao. « Dans tous les mythes fondateurs de la genèse, Dieu fabrique l’homme avec de l’argile […] Dans les langues latines le mot humus a donné homme et humilité. Tout ceci est lourd de sens, l’homme est pétri de terre, l’homme est fils de la Terre. » (Claude et Lydia Bourguignon[2])

5. « Le père a disparu, toute relation a disparu. […] C’est la situation de l’homme moderne, car vous êtes devenu incapable de considérer l’univers en tant que père ou que mère. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que tout le monde soit névrosé ! » (Osho[3])

6. Il est illusoire pour l’homme d’essayer de contrôler la nature. Il devrait au contraire se fondre en elle, faire un avec elle. Nous ne venons pas au monde mais du monde, nous en sommes sortis « comme une branche d'un arbre » (Alan Watts). Respecter la nature mais surtout respecter sa nature: devenir ce que l'on est (Nietzsche), être authentique et suivre son potentiel.                    

7. Nous ne sommes, individuellement, qu’un par rapport aux dix mille êtres, à toutes les autres créatures. Petite personne égotiste face à la multitude. Nous pouvons nous mettre sur la pointe des pieds pour essayer de les dépasser (compétition et donc stress) ou bien choisir la coopération fraternelle, dans le sens où nous avons tous les mêmes parents (le ciel et la terre).

 

Le Mendiant

 

[1] Tchouang-tseu, Œuvre complète, traduction de Liou Kia-hway, Gallimard/Unesco, 1969, Chap XIX, p.150

[2] Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs, Editions Sang de la Terre, 2009, p.24

[3] Osho, L’Evangile de Thomas, Editions du Relié, 2004, p.389

 

 

 

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20 janvier 2018 6 20 /01 /janvier /2018 08:00

Comment définir ou appeler le chaos, le principe premier ?  Doit-on seulement essayer de le conceptualiser ?  Quelle est l’origine de l’univers ?

 

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wú míng tiān dì zhī shǐ

[Négation] - Nom - Ciel - Terre - [liaison] – Origine

 

() [wú] est la négation, le vide et signifie ne pas avoir, ne pas être, ce qui n’est pas, l’inexistant, il n’y a pas, rien, nul, pas. 无名 [wúmíng] signifie inconnu, anonyme ou accidentel. [wú míng], espacé, signifie sans nom ou vide de nom. [tiān] est le ciel, [dì] est la terre, 天地 [tiāndì] est l’univers, le monde, le champ d'action ou d'activité. [zhī] est un mot de liaison remplaçant une personne ou une chose comme complément. [shǐ] est le début, l’origine, le commencement.

 

Trad.1 :

Le Sans-Nom représente l’origine de l’univers / En tant qu'origine du Ciel et de la Terre, il est sans nom / Elle n'a pas de nom: Ciel-et-Terre en procède

♥  « Vide de nom, est l'origine du ciel et de la terre » (Ma Kou) « Ce que l'on ne peut qualifier est le commencement du ciel et de la terre. » (Catherine Despeux)

♣ « L'indicible est l'éternellement réel » (Stephen Mitchell)

► Le Tao, sans nom donc, indivisible et impossible à conceptualiser, à qualifier, est le Principe primordial, la Cause de l’univers qui, rappelons-le, correspond à la structure du caractère (Cf. 1-1).

« […] du commencement résulte l’accomplissement, mais on ignore ce qui fait qu’il en est ainsi : insondable insondabilité » (Commentaires de Wang Bi par Catherine Despeux, p.162)

 

entre_ciel_terre_nb.jpg

 

Trad.2 :

Le non-être, l’être sans nom, le terme Non-être est l'origine, indique le commencement du Ciel et de la Terre.

« La non-existence est l’origine du ciel et de la terre » (Shi Bo)

► « Qu’y-a-t-il avant qu’il y ait quelque chose » me demanda notre fils Michaël à l’âge de quatre ans. Le chaos originel, créateur de l’univers, pourrait-il se traduire par l’idée de non-être, de non-existence ? Avant qu’il y ait quelque chose, il y a effectivement un "non-quelque chose" et cet "inconnu" (无名en attaché) ne peut avoir de nom !  De même, la non-existence est-elle devenue existence "accidentellement" (autre sens de无名 attaché) ?  Nous nageons ici en plein mystère ! (, Cf. 1-8)

 

Contre-sens ?

Cette idée de "non-être" pour définir le Tao reste confuse (au contraire de l’expression "non-existence") car le Tao transcende les êtres, les englobe, selon le principe de « tout en chaque chose et chaque chose en tout » (Capra, p.297). Il ne saurait ainsi être en antagonisme avec eux ou être définit par rapport à eux. De même, définir « ce qui ne porte pas de nom » par le « non-être » reviendrait à dire, à l’inverse, que seul le nom crée l’être voire, en poussant la réflexion au contexte contemporain, que je ne suis quelqu’un que si je me suis fait un nom, que si je porte des marques, variante du « Celui qui n’a pas de Rolex avant 50 ans a raté sa vie »  de Séguéla. Lao Zi dit évidemment tout le contraire : le nom ne saurait définir l’être ! (Cf.1-2)

 

♫ Innommable, Origine du Ciel et de la Terre

Sans-nom puisque l’action de nommer le Tao est illusoire. Majuscule puisque l’univers n’a qu’une Origine.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Sans-nom, Origine de l’Univers » en conformité au Huainanzi qui établit une chronologie et une distinction : « Avant l’apparition du ciel et de la terre, il y avait seulement ce qui n’a pas de forme, que l’on nomma le grand commencement. La Voie est issue du vide. Du vide est apparu l’univers qui produisit le souffle. Les souffles limpides et légers montèrent et formèrent le ciel, les souffles impurs et lourds descendirent et formèrent la terre. » (Huainanzi, juan 3, 1a, cité par Catherine Despeux, p.56)

 

Réflexions :

1. Le nom, les marques, les signes extérieurs de richesse ou de pauvreté, ne pourront jamais retranscrire la complexité de chaque être.

2.  Dans un monde de mise en scène et de personnages (le terme personnalité vient du latin persona qui signifie masque), c’est ce qui n’est pas apparent qui nous ressemble et nous rassemble le plus.

3. Nous ne pourrons être à l’aise dans nos accomplissements que si nous retrouvons le contact avec notre être véritable (sans persona ou « masque social ») c’est-à-dire si nous faisons ce qui correspond véritablement à notre nature, si nous suivons nos rêves véritablement personnels. Voir mon ouvrage L’obsession de la performance.

4. Ne pas avoir de nom met le Tao à l’abri de tout dogmatisme, de tout concept, de toute idolâtrie et, l’esprit clair, facilite son immersion en lui, son expérience de lui. C’est la même raison qui pousse les juifs à ne pas parler de Dieu ou même prononcer son nom (YHWH  en hébreu) «There's a great mystery out there. You can open yourself up to it; experience some of it. But you'll never understand it. But you don't need to understand it. You just need to relate to it.» (Vine DeLoria, Jr., Professor of Religious Studies, dans le film The Great Mystery)

 

Le Mendiant 

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17 janvier 2018 3 17 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi convient-il de se méfier des noms ?  Comment appeler ce qui est en constante évolution ? Comment décrire la Réalité par le langage ?

 

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míng kě míng fēi cháng míng

Nom – Pouvoir - Nom – Non - Ordinaire/éternel – Nom

 

Même structure que 1-1 avec [míng] qui signifie nom, réputation, célébrité, bien-connu, fameux, mais qui correspond aussi au concept du langage. « La réalité étant perçue comme un tout continu, le langage (ce que les Chinois appellent « les noms ») apparait comme un simple instrument qui permet de « découper » (fen), c'est-à-dire de pratiquer des distinctions pertinentes […] le fait de découper étant une façon d’analyser la réalité  mais aussi de l’évaluer. » (Anne Cheng, p. 150) 

 

Trad. 1 :

Le(s) nom(s) que l’on peut nommer/énoncer n’est (ne sont) pas le Nom éternel, véritable, ne sont déjà plus le Nom 

« Et les noms qu'on peut nommer ne sont déjà plus le Nom. » (Claude Larre)

► Le Nom Eternel, Véritable ou Absolu fait référence au pouvoir du Tao Créateur, à l’ordonnance du monde via le Verbe, tel qu’on le comprend également dans la Bible : "Au commencement était le Verbe / la Parole / le Logos" (Prologue Evangile selon St-Jean).[1]  C’est d’ailleurs le mot [dào] que l’on retrouve dans la Bible traduite en chinois :   Notons toutefois que Lao Zi met en garde contre le langage et la raison, toutes deux considérées comme limitées et que le terme grec logos λόγος désigne à la fois la raison-intelligence et son expression, le langage.  Le terme de logos ne serait donc pas approprié pour traduire le Daode Jing.  Enfin, signalons avec Jonathan Star que cette notion de « Nom Eternel » en tant que principe suprême n’est plus mentionné dans le reste du texte… comme si cette interprétation n’était pas la bonne !

 

tao_citeor_nb.jpg

 

Quand le Tao prend nom...

 

Trad. 2 :

Le nom qu’on lui donne, qu’on veut lui donner, qui peut la nommer (la voie), n’est pas son nom immuable, adéquat, éternel, le Nom pour toujours.

♥ « Le nom que l'on peut lui donner n'est pas le nom éternel » (Shi Bo) 

► Le nom que l’on pourrait lui trouver ne saurait être son vrai nom, le Tao ne pouvant avoir de nom puisque 1-1. Il y aurait là une curieuse tautologie… qui permet néanmoins à Marcel Conche de préciser: « Le nom « de toujours » de ce que le mot « Tao » désigne est : Sans-Nom. »[2], 无名[wúmíng] que l’on retrouve en 1-3. « Le Tao ne peut-être entendu ; ce qui s’entend n’est pas lui. Le Tao ne peut être vu ; ce qui se voit n’est pas lui. Le Tao ne peut être énoncé ; ce qui s’énonce n’est pas lui. Qui donc connaît ce qui engendre les formes est sans forme. Le Tao ne doit pas être nommé. » (Zhuang Zi, XXII, p.181)

 

Trad. 3 :

Le nom qu'on peut nommer, qui peut-être nommé, n'est pas un nom permanent

► Sans majuscule à nom, il est fait ici référence aux noms des dictionnaires, inventions de l’esprit. Un nom est subjectif car limité à une définition là où la réalité est mouvance et donc indéfinissable, innommable. « S’il y a nom, il y a détermination, et tous les êtres ne peuvent être embrassés. Donc, quand il y a bruit, ce n’est pas le Grand Son… S’il y a forme, il y a détermination… Aussi une image qui a forme ne peut-elle être la Grande Image. » (Wang Bi, Lao 41, cité par Anne Robinet, p.213)

 

Trad.4 :

« Un renom que l'on peut qualifier n'est pas le renom constant. » (Catherine Despeux)

► Il n’est plus ici question du Tao mais de l’homme, de même que la « Voie constante » faisait précédemment référence chez certains auteurs – dont le « Maître du bord du fleuve » (Heshang gong) – à des pratiques visant à la longévité : « nourrir ses espris sans intervenir, […] retenir sa lumière et l’atténuer ». La signification de cette seconde phrase est qu’il n’est pas de renom constant c’est-à-dire de « célébrité spontanée qui perdure ». « La renommée durable vient de ce que l’on protège la vie comme on protège le jeune enfant qui ne parle pas encore ; il en est comme de l’œuf couvé, de la perle dans l’huître ou du beau jade encore dans sa gangue : l’intérieur est lumineux mais l’extérieur paraît vil. »(Catherine Despeux, p.160) Cette interprétation « pratique » sort toutefois nettement du cadre du taoïsme philosophique ou spirituel (tao-chia) que nous traiterons ici. 

 

♫ Le nom énonçable n'est pas Le Nom. 

La majuscule permet les trois interprétations : le pouvoir créateur du Tao (Sens 1), le nom du Tao lui-même (Sens 2) ou la réalité intrinsèque d’une chose quelconque (Sens 3).

 

Réflexions :

1. Ce que l’esprit humain saisit n’est pas la réalité mais une interprétation personnelle ou sociale de la réalité. La preuve en est les différents dictionnaires avec des définitions différentes de chaque mot, susceptibles d’évoluer d’une année sur l’autre voire de changer de sens !

2. Le mot "arbre" n’a pas la même résonnance selon les individus : certains imagineront un pommier, d’autres un saule-pleureur. Qui est encore capable d’observer l’essence de l’arbre sans y ajouter ses techniques, concepts, expériences ou préjugés ?  Du botaniste au citadin, la vision de l’arbre ne sera pas la même.

3. S’il est difficile de définir "arbre", qu’en est-il de concepts tels que "vertu", "vérité", "justice", "richesse", "sagesse", etc. Se méfier des définitions formatées par les médias. Ne pas hésiter à s’interroger sur le sens des mots car les mots déterminent la qualité de la réflexion et au final son niveau de liberté.

4. Voir au-delà des définitions nous permettra de redécouvrir une harmonie extérieure, une cohérence fondamentale, de ressentir la nature fondamentale des choses. (Cf. 1-5)

5. Essayer de se « faire un nom » est aussi vain que dérisoire et susceptible, comme nous le verrons en 3-1, de créer du désordre social et de susciter des jalousies.

 

Le Mendiant

 

[1] Il va de soi que les textes originaux en hébreu (Genèse) ou en Grec (Evangiles) offrent davantage de souplesse et de subtilités que les traductions qui ont été faites : La bible que l’on nomme bible n’est pas La Bible !

[2] Marcel Conche, Tao Te king, PUF, 2003, p.43

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 10:35

Pourquoi le Tao est-il insaisissable ? Ce que nous observons est-il la Réalité ou bien une création de notre esprit, une illusion ?

 

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dào kě dào fēi cháng dào

Tao - Pouvoir - Tao - Non - Ordinaire/éternel – Tao

 

[dào] est formé de la clé [chuò] qui signifie mouvement ou marche. Ce caractère n’existe pas en soit et est toujours accolé à un référé, soit ici [shǒu] qui signifie tête, chef, principe ou premier (► Le « Premier mouvement », le « Principe primordial », la « Cause des causes ») mais est également utilisé comme "mot mesure" des poèmes, ce à quoi ressemble le texte du Vieux Maître (Lao Zi).  Globalement, est à la fois un nom (chemin, voie, route, cheminement, parcours, direction, méthode, technique, doctrine, principe, manière de procéder) et un verbe (marcher, avancer, parler, dire, énoncer, penser, supposer, guider ou parvenir à). C’est aussi le "mot mesure" utilisé pour ce qui forme une ligne, les ordres ou les questions. Selon Catherine Despeux[1], « Le Dao, la Voie, est un terme d’usage universel dans la pensée chinoise. […] Le plus ancien dictionnaire étymologique chinois, écrit vers l’an 100, décompose le caractère dao en deux éléments, l’un désignant la marche et l’autre une tête chevelue. La définition qu’il en donne est : « La Voie désigne ce que l’on parcourt. » Autrement dit, le Dao, c’est en premier lieu le chemin et le cheminement.  Mais un caractère peut prendre des sens différents selon le contexte dans lequel il est employé […] Le sens philosophique de Principe ultime ou d’Absolu, qui ressort du commentaire de Wang Bi au IIIe siècle, n’existe pas encore à l’époque de Laozi et paraît donc anachronique […] La Voie désigne un ordre à la fois naturel, social et politique. » (p.61) Au final, choisir un terme plutôt qu’un autre reviendrait à le "terminer", à l’enfermer dans un concept, lui qui est par essence insaisissable et c’est pourquoi nous continuerons à l’appeler Tao.[2]

 

[kě] signifie approuver, pouvoir, nécessité (de faire quelque chose), en mesure de (faire quelque chose), valoir la peine (d’être fait) ou avoir besoin (d’être fait). Sa clé [kǒu] signifie bouche d’où des traductions comme « exprimer par la parole » ou « prononcé », précision excessive puisque nous retrouvons par exemple ici le Tao sous forme écrite.

 

[fēi]  signifie mauvais, non, pas ou non conforme. [cháng] signifie ordinaire, commun, normal, invariable ou alors constant, fréquemment, souvent, habituellement, pour ainsi deux interprétations possibles : le Tao ordinaire ou le Tao éternel.  Notons aussi que 非常 [fēicháng] signifie extraordinaire, inhabituel, extrêmement, très pour une interprétation alors inverse : « Le tao devenant tao est le Sublime Tao ».  Tao à la fois ordinaire et extraordinaire !

 

tao

 

Trad.1 :

Le Tao/La voie que l'on peut énoncer/prononcer/exprimer/expliquer/saisir/tracer/définir, qui se laisse exprimer, que la voix peut dire, n'est pas le Tao/la Voie infini/éternel/permanent/pour toujours/constant, n’est déjà plus le Tao.

♥ « Le Tao qu'on tente de saisir n'est pas le Tao lui-même » (Liou Kia-hway) « Une Voie que l'on peut qualifier de Voie n'est pas la Voie constante. » (Catherine Despeux)

♣ « La voie qui a voix n'est pas la vraie Voie.» (Jean Levi)

► Le tao que l’on pourrait enfermer dans un concept, un nom ou une métaphore ne saurait être le vrai Tao, la seule chose permanente étant l’impermanence.  « Comment y aurait-il une connaissance stable de ce qui est instable ? » s’interroge Marcel Conche. Tout s’écoule, panta rhei, dit Héraclite et c’est pourquoi on ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve.[3]  Ainsi, « Pour connaître le Tao, on ne doit ni penser ni réfléchir ; pour s’installer dans le Tao, on ne doit adopter aucune position  ni s’appliquer à rien ; pour posséder le Tao, on ne doit partir de rien, ni suivre aucun chemin » (Zhuang Zi, XXII, p.175)

 

Trad.2 :

Le Tao devient sans cesse le Tao, il n’y a pas de Tao fixe, éternel / Laissez le Tao devenir votre Tao, qu’il ne soit pas juste un Tao éternel !

♥ « La Voie vraiment Voie est autre qu’une voie constante.» (J. J. L. Duyvendak)

► Ces approches, présentées (entre autres variantes) par Jonathan Star, ont l’avantage de mettre l’accent sur le processus, le flux constant du Tao, qui n’est jamais le même, jamais éternel dans sa forme ou alors qui ne doit pas rester abstrait mais être intégré au cœur de sa propre expérience... Traduire [kě] par « devenir » est néanmoins un peu tiré par les cheveux… La traduction de Duyvendak est bien plus fidèle.

 

Trad.3 :

« Enfin, dernièrement, arguant de la version de Mawangdui[4], où les deux membres de phrases sont ponctués par la particule [yě], les érudits modernes proposent encore une autre lecture, grâce à un découpage différent : Dao, ke dao ye, fei chang dao ye. Le sens serait alors : « Le Tao, il peut se dire (ke dao ye), mais seulement sur un mode qui n’est pas celui du discours ordinaire (fei chang dao ye) » Ces versets qui ouvrent le livre fournirait alors la justification de l’ouvrage qui est un discours sur le Tao, mais en mettant en garde le lecteur : on ne saurait néanmoins se servir du langage ordinaire pour parler d’une entité qui excède toute désignation autre qu’heuristique. » (Jean Levi, p.55) 

 

Contre-sens ?

Traduire Tao par le mot Vérité et par « Vérité absolue » (Ma Kou) est une originalité mais, dans la pensée chinoise, « la vérité est d’abord d’ordre éthique, la préoccupation première étant de déterminer l’utilisation appropriée du discours, et non pas ce qui fait la vérité de dispositions mentales, de propositions, d’idées ou de concepts » (Anne Cheng, p.37) Le terme de « Réalité » serait-il plus approprié : « La réalité que l'on veut exprimer n'est pas la Réalité » ?

 

♫ Le tao exprimable n'est pas Le Tao

La majuscule évite de devoir se prononcer sur l’adjectif . Le Tao se définit par lui-même!

« Le Dao ne connaît pas de distinctions. Le langage ne peut se référer à l’éternel. C’est parce qu’il y a langage qu’il y a démarcation. […] Le Grand Dao n’a pas de nom, une vraie discussion, c’est en fait une discussion où l’on ne parle pas. » (Zhuangzi, II, cité par Anne cheng, p.332) ou encore « « Le Tao ne peut être entendu : ce qui s’entend n’est pas lui ; le Tao ne peut être perçu : ce qui se voit n’est pas lui ; le Tao ne peut être énoncé : ce qui s’énonce n’est pas lui. […] Ce qui donne forme aux formes est sans forme. Le Tao ne répond à aucun nom. » (Zhuangzi, cité par Jean Levi, p.8)

 

Réflexions :                                                                           

1. La parole, le langage, les concepts, l'intelligence sont limités. La réalité se trouve au-delà des apparences (et des médias). La carte ne sera jamais le territoire !

2. Le Tao se conceptualise moins qu’il ne se vit, qu’il ne se ressent, de l’intérieur !  Lao Zi nous invite à laisser la raison de côté pour redécouvrir l’harmonie, les aspirations de notre cœur.

3. Le Tao, tout comme la montagne, nous dépasse et nous ne serons jamais capables d’en saisir tous les éléments, chacun de ses constituants, de la végétation aux grains de poussière. La nature nous transcende et il est illusoire d’essayer de la maîtriser. Nous ferions mieux de la respecter et de nous placer en syntonie avec elle.

4. « Dieu est sans nom : car de lui personne ne peut rien dire ni connaître. En ce sens, un maître paën dit : « Ce que nous savons, ou disons, de la première cause, nous le sommes plus nous-mêmes que ce n’est la première cause ; car elle est au-dessus de toute expression et de toute connaissance ! » (Maître Eckhart, p.131) ou encore Michel Coquet : « Définir Dieu, c’est le limiter à sa propre compréhension et c’est ce qui a donné les guerres de religion et l’intolérance des trois dernières religions, la juive, la chrétienne et la toute dernière, la musulmane. »[5]  Adopter le point de vue de Laozi – inutile d’essayer de définir l’indéfinissable ! – serait faire acte de paix et de tolérance…

 

Le Mendiant

 



[1] Catherine Despeux, Lao-tseu, Le guide de l’insondable, Editions Entrelacs, 2010. Un excellent ouvrage pour éclaircir (un peu) le texte chinois grâce aux différentes interprétations proposées mais malheureusement limité à 31 chapitres sur les 81.

[2] Dao (ou do en japonais comme dans le judo, la « voie de la souplesse ») serait une plus juste retranscription mais Tao est devenu l’appellation d’usage en Français, selon le système de l’Ecole française d’Extrême-Orient (EFEO), longtemps en vigueur en France. Voilà pourquoi Laozi est également souvent retranscrit par Lao-tseu. A l’exception du Tao, nous utiliserons la retranscription en pinyin, adopté en République populaire de Chine depuis 1958.

[3] « Nous entrons et nous n’entrons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et nous ne sommes pas » (Héraclite) Marcel Conche commente : « Le langage, qui nomme avec des mots définis, ne peut dire que le stable non l’instable, en conséquence ne peut dire que les lois, qui seules sont stables, constantes, égales à elles-mêmes, non les êtres, car il n’y a pas d’ « êtres » en réalité : il n’y en a qu’en apparence. » (Héraclite, p.456)

[4] « En 1973, à Mawangdui, localité voisine de Changsha, au Hunan, étaient exhumés d’une sépulture du début des Han un grand nombre de manuscrits sur soie […]. Parmi ces documents figuraient deux versions du Lao-tseu. La version la plus ancienne, assez corrompue, fut écrite avant l’avènement du premier empereur des Han, Lieou Pang, en 206 av. J.-C. ; la seconde, un peu plus récente et mieux préservée, a dû être calligraphiée entre 194 et 187 avant notre ère. Ces deux manuscrits […] présentent l’un comme l’autre la particularité remarquable d’inverser l’ordre des parties – le « Livre de la Vertu » y est précède le « Livre de la Voie » -, et de ne pas être divisé en sections comme les éditions reçues. » (Jean Levi, Le Lao-tseu, Albin Michel, 2009, p.37)

[5] Michel Coquet, Pourquoi sommes-nous sur Terre, Alphée, p.308

 

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