Pourquoi le plus grand détachement s’exerce vis-à-vis de sa propre existence. Pourquoi le Sage refuse d’avoir des élèves.
生 而 不 有
shēng ér bù yǒu
Vivre/Elève - [conj.] - Pas - Avoir
生 [shēng] signifie (verbe) donner naissance, grandir, vivre et (nom) existence, vie, élève. Cf. 2-3
Trad.1 : Il les fait vivre, il les nourrit, il les produit, il aide à les créer, il répond à leurs besoins sans se les approprier, sans les posséder, sans les accaparer,…
♥ « Il aide à vivre sans s'approprier. » (Marcel Conche)
► Nous restons sur les dix mille êtres que le sage abreuve naturellement sans rien attendre en retour. Notion de désintéressement. « Ceux qui l’écoutent, et de cette écoute, tirent profit, ne sont pas « ses » élèves. Il ne fonde pas d’école. Ce n’est que bien après Lao-tseu que l’on parlera d’une « école du Tao » précise Marcel Conche (p.51)
♫ Mais n’a pas d’élèves
Une proposition contraire (et trop simpliste ?) au sens communément admis mais néanmoins dans la logique des caractères et du détachement du sage taoïste. Il ne refuse évidemment pas d’aider, mais il refuse d’ « avoir » des élèves, d’exercer sur eux une forme de domination, de « posséder » ou de « formater » leurs esprits.
Trad.2 : Il produit sans s’approprier, il crée sans posséder, Il a mais ne possède pas
♥ « Il crée sans s'approprier » (Conradin Von Lauer)
♣ « Donnant sa vie sans revendiquer d'en être le propriétaire. » (Feng Xiao Min)
► Nous restons sur la notion de détachement, de vie fluide sans qu’il y ait besoin de s’attacher à quoi que ce soit, sans "avoir".
♫ Mène sa vie sans la posséder
L’existence individuelle s’inscrit dans la globalité du Tao.
Contre-sens ?
De nombreuses incohérences sur la traduction de生 : comment le sage pourrait-il par exemple « produire » les êtres ? Les idées de les nourrir ou de répondre à leurs besoins sortent également du sens du caractère.
Réflexions :
1. Sur quoi le respect du corps enseignant doit-il être bâti ? Une autorité hiérarchique à coups de scolarité obligatoire, de leçons, de règlements et de notes ou bien sur l’expression sincère d’une passion pour le sujet enseigné ? Un enseignant ne sera jamais respecté par les élèves pour sa fonction, superficielle et imposée, mais le sera dès qu’il aura fait la démonstration de sa cohérence et de sa compétence. On ne respecte jamais que ce qui est "vrai". « Allez donc faire comprendre à des élèves que l'enseignement primaire n'est pas primaire, que le secondaire est loin d'être secondaire et que le supérieur est parfois moyen… » précise Philippe Geluck.
2. Ne pas posséder son existence revient à dire que l’on accepte les hauts et les bas, les aléas de la vie, les évènements douloureux. « Tout ce qui peut arriver à un être humain peut aussi m’arriver : j’accepte cette réalité » [1] Réfléchir à ce mantra permet de faire preuve d’humilité et de responsabilité : il y a des choses que je peux contrôler et d’autres non !
3. Admettre que l’on ne possède pas sa vie, en tout cas pas en totalité, permet aussi de limiter les frustrations liées au mythe de la performance ou du surhomme : en dépit de ce que certains livres aimeraient nous faire croire, notre pouvoir n’est pas « illimité » !
4. Le Sage « mène sa vie » mais accepte que le Tao puisse la lui reprendre à tout instant. La mort peut survenir à l’improviste et le sage accepte cette réalité avec détachement et attention au présent. « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade; tu meurs de ce que tu es vivant » disait Montaigne.
Le Mendiant
[1] Mantra tiré du livre de Bo Lozoff, La vie vaut la peine d’être vécue, Editeur le Jour, p. 92