Pourquoi convient-il de dépasser le savoir. Quelle est la réelle valeur de notre connaissance.
明 白 四 达,能 无 知 乎﹖
míng bái sì dá, néng wú zhī hū
Lumière/Comprendre – Pur – Quatre – Etendues, Pouvoir – [négation] – Savoir - [Interrogation]
明[míng] signifie clair, brillant, lumière, distinct, ouvert, explicite, honnête, prochain, savoir ou comprendre. 白[bái] signifie blanc, clair, pur, en vain, pour rien ou gratuit. 达(達) [dá] signifie étendre, atteindre, comprendre complètement, exprimer ou communiquer, éminent ou distingué. 知[zhī] signifie (verbe) savoir, réaliser, informer, dire, être en charge de, administrer ou (nom) le savoir, Cf. 2-1.
Trad. 1 :
Peux-tu tout voir et tout connaître, être informé de tout, sans user de l'intelligence, rester indifférent comme si on ne savait rien ?
♥ « En comprenant tout ce qui t’entoure, peux-tu te passer de connaissance ? » (J. J. L. Duyvendak)
► Le sage a une connaissance instinctive des choses. Il sait naturellement, sans nécessité de se mettre en avant par son savoir.
Trad. 2 :
Peux-tu pénétrer les quatre directions sans en rien savoir ? Peut-on pénétrer les quatre directions sans faire appel à la conscience ? En comprenant tout ce qui se passe dans les quatre quartiers du monde, peux-tu être comme ne sachant rien ?
► Shi Bo explicite ces « quatre directions » comme étant les « quatre points cardinaux » ce qui revient à dire que l’on voit tout et comprend tout.
Trad. 3 :
Peux-tu te distancier de ton propre esprit et ainsi comprendre toutes choses ? (Stéphen Mitchell) Dans la blancheur radieuse de l'illumination, pourras-tu faire le deuil de ta raison ? (Jean Levi) « Comprends tout à fond, tu peux alors arriver à ne rien savoir » (Henning Strom)
► Des traductions originales… mais pertinentes.
Contre-sens ?
Quelques "traducteurs" ont fait une inversion avec le 无 为 [wú wéi] de 10-4 et parlent donc de non interférence ou de non-agir. Nettement moins grave, l’évocation de l’ignorance comme dans le « Si ses lumières pénètrent en tous lieux, il pourra paraître ignorant » de Stanislas Julien ou le « Etant inondé de lumière de tous côtés, pouvoir être ignorant » de Marc Haven et Daniel Nazir. Enfin, le caractère interrogatif 乎[hū] demeure oublié par la moitié des propositions.
♫ Peut-on, empli de connaissance, pratiquer le Non-savoir ?
Réflexions :
1. La culture est comme la confiture : moins on en a et plus on l’étale ! La connaissance comme outil de l’ego ? Il n’est pas étonnant, dans cette perspective, que les sages taoïstes souhaitent la dépasser.
2. Pratiquer le Non-Savoir, serait-ce garder un œil neuf et un esprit libre de tous préjugés ou bien alors agir comme si l’on ne savait pas, retrouver la souplesse du nouveau-né, Cf. 10-2 ?
3. « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien ! » (Socrate) La connaissance conduirait-elle à la compréhension de sa futilité ?
4. « Un grand érudit peut rejeter son intellect, mais que fera un médiocre ? Comment peut-il le rejeter, puisqu’il ne l’a pas ? Si vous avez du savoir, vous pouvez y renoncer et devenir ignorant, humble ; mais si vous n’avez aucun savoir, comment pouvez-vous y renoncer ? Socrate pouvait dire : « Je ne sais rien ». C’est le second temps : il savait beaucoup, puis il réalisa que tout savoir est inutile. […] Il faut exercer l’intellect, il faut acquérir du savoir, il faut cristalliser l’égo ; c’est le premier temps de la vie. Lorsque vous avez ces richesses, alors vous pouvez y renoncer. » (Osho, Evangile Thomas, p.179)
5. La connaissance est trop souvent déconnectée de la réalité. Exemple extrême avec cet expert-psychologue qui écrit un livre contre les fessées sans avoir lui-même d’enfant. Différence entre les experts occidentaux et les sages orientaux, voir 2-10.
Le Mendiant