Pourquoi rien n’existe sans espace. Pourquoi l’énergie et l’harmonie requièrent du vide.
天 地 之 间, 其 犹 橐 龠 乎
tiān dì zhī jiān, qí yóu tuó yuè hū
Ciel – Terre – [liaison] – Espace – Cela – Comme – Soufflet – Flûte – ?
Pourquoi rien n’existe sans espace. Pourquoi l’énergie et l’harmonie requièrent du vide.
间 [jiān] signifie entre, parmi, à l’intérieur d’un temps ou espace définit. Prononcé [jiàn] il signifie espace interstitiel, interstice, ouverture ou séparé mais aussi semer la discorde ou se dégarnir. 橐 [tuó] est un caractère peu courant désignant un sac ou un soufflet de forge. 龠 [yuè] est également peu fréquent et désigne une flûte (ou une clé), étrangement oubliée de tous les traducteurs, à l’exception notable de Catherine Despeux qui précise : « Laozi emploie l’image de la flûte dans laquelle l’air passe et produit toutes sortes de manifestations sonores à l’infini. Une image similaire est développée par Zhuangzi. Celui-ci établit une véritable progression dans la compréhension et l’atteinte du vide, comparant l’individu à des orgues humaines, terrestres ou célestes, ces dernières étant celles qui permettent l’expression la plus parfaite de la grande harmonie […] Le corps humain est donc comme une flûte dans laquelle l’air passe et joue différentes mélodies de la vie selon les résonances intérieures de l’être. » (p.73) 乎 [hū] est une particule interrogative pour exprimer le doute ou la surprise.
Traductions :
L'intervalle, l’espace entre le Ciel et la Terre est comme, est semblable à un soufflet (de forge).
♥ « L'espace entre ciel et terre est comme un soufflet ou une flûte » (Catherine Despeux)
► Analogie entre l’espace et le soufflet de forge et retour sur l’idée de dissémination de 4-1. Selon le commentaire du Maître du Bord du Fleuve, « un soufflet ou une flûte sont vides au centre ; voilà pourquoi l’homme peut en sortir des sons. » (Despeux, p.225)
Contre-sens ?
Beaucoup de traductions oublient le terme "espace" 间 et restent ainsi sur l’idée de 天 地 ou d’univers ou, pire encore, de Tao. Faire référence à un « être » qui serait « entre le ciel et la terre » est tout aussi incompréhensible. A côté de l’oubli de la flûte, un bon nombre de traductions zappent le caractère interrogatif de la phrase, pourtant cohérent avec le Chap 3 empli de doute.
♫ L’espace ciel-terre tel un soufflet ou une flute ?
Réflexions :
1. Il faut de l’espace pour accueillir quelque chose, pour être capable de recevoir.
2. « La nature a peut-être horreur du vide mais le système en a fait son fonds de commerce : le mal-être, les complexes, les peurs et les frustrations sont incontestablement les moteurs de la consommation. » (Le Mendiant et le Milliardaire) Mais la nature a-t-elle vraiment horreur du vide comme le pensait Aristote ? Nous verrons en 5-4 qu’il n’en est rien !
3. Dans les peintures de paysages chinois, le blanc et le vide couvrent une bonne partie de la toile de manière à laisser l’esprit accéder à l’harmonie. « On ne peut appréhender l’Être qu’en creux, en cernant son absence – un peu comme un sceau gravé intaglio livre son message en blanc, ne révélant son dessin que grâce à l’absence de matière (…) Le précepte recommande au peintre de ne jamais révéler qu’une moitié du sujet pour mieux en suggérer la totalité (…) Le vide est l’espace où peut se déployer l’au-delà du poème » explique brillamment le sinologue Simon Leys dans son essai La forêt en feu. [1]
4. Des pièces suremcombrées de meubles ou de biblots nuisent à la circulation énergétique et créent un sentiment d’étouffement. Le Feng Shui (Feng désigne le vent, Shui signifie l’eau) vise notamment à créer une harmonie au sein de l’espace.
Le Mendiant
[1] Simon Leys, Essais sur la Chine, Robert Laffont, 1998, p. 577.