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1 juin 2011 3 01 /06 /juin /2011 08:03

Pourquoi le Tao n’est pas vide. Pourquoi il s’use surtout lorsqu’on ne s’en sert pas.

 

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dào chōng ér yòng zhī huò bù yíng

Dao - Projeter - [conj.] - Utiliser - [liaison] – Peut-être - Pas – Être rempli.

 

Le sens de la phrase repose sur [chōng] qui signifie verser de l’eau bouillante, rincer, tirer la chasse d’eau (flush), jeter violemment (dash), jaillir, se heurter, entrer en collision, passage (thoroughfare) ou place/endroit important(e). D’où l’idée d’un bouillonnement, d’un flux d’activité ou d’énergie entrant en collision, d’une sorte de soupe cosmique d’où tout surgirait, comme le confirmera d’ailleurs 4-2. Ainsi, 沖力 [chōnglì]est la force d’impulsion, l’élan ou le dynamisme. 沖散 [chōngsàn] est la rupture, la dislocation, la dispersion, la dissémination tandis que 冲积 [chōngjī]est en géologie le phénomène d’alluvionnement. A noter que [dào chōng ] « Voie jaillissante » est aussi le « nom secret » de la seule femme taoïste (1039-1115) a avoir laissé un commentaire réputé sur le Daode Jing (Despeux, p.59)  [yòng] signifie utiliser, employer, dépenser, utilité, besoin, dépenses, frais, ainsi ou toutefois. [huò] signifie peut-être ou probablement. [yíng] signifie être rempli, être plein de ou avoir un surplus de, d’où sans doute les idées de vide ou de récipient. Toutefois, ne pas pouvoir être rempli à raz bord ne signifie pas pour autant être vide.

 

Trad.1 :

Le Dao est vide, est un vide, est comme un bol vide, est comme un vase, que l’usage ne remplit pas, que nul usage ne comble, qui, en dépit de son emploi ne se remplit jamais, qui paraît inépuisable à l’usage.

♥  « Le Principe foisonne et produit, mais sans se remplir. » (Léon Wieger)

♣ « Le Tao est tel un puits: sans cesse utilisé mais jamais tari.» (Stephen Mitchell) « La Voie jaillit et l’on y puise durablement, sans excès » (Catherine Despeux)

► Le Tao est une puissance créatrice illimitée, le « processus infiniment jaillissant de l’autocréation » (Anne Cheng, p.339), « l’éternel jaillissement des choses » (Maître Eckhart, p.101). L’univers, en constante expansion, ne peut se remplir. Selon Catherine Despeux, « si l’on retient une autre leçon qui remplace le caractère « jaillir », chong, par celui de « vide médian », zhong, on peut considérer que, si la voie jaillit, c’est parce qu’il y a ce vide constant qui permet le renouvellement et qui incite au devenir des choses. » (p.74).

 

Trad.2 :

« La Voie est modérée et s'utilise longtemps, sans excès. » (Catherine Despeux)

► C’est ici le caractère [zhong] qui est utilisé : « La Voie prise la modération et l’harmonie […] Il ne faut pas user à l’excès de la volonté et de l’intention, afin de ne pas aller à l’encontre des avertissements de la Voie. » (Despeux, p.172)

 

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Contre-sens ?

L’image du récipient statique ou du Tao vide apparaît comme un contre-sens et il sera difficile d’expliquer par la suite comment le vide produit toute chose. Conradin Von Lauer va jusqu’à dire que « Le Tao est le vide ». Il est en fait moins question de vide que de profondeur ou d’espace illimité, de puits sans fond selon la traduction de Stephen Mitchell. Cette dernière version, tout comme les autres, à l’exception notable de celle du Père Léon Wieger[1], rend toutefois mal compte du dynamisme créatif du Dao et de la dissémination de sa création dans l’univers. Ainsi, il s’agit moins d’une source qui se renouvellerait indéfiniment au fond d’un puits que de l’impossibilité à remplir ce qui n’a pas de fond – ou de limites – ce qui expulse sa production et est un important lieu de création mais aussi de passage. Marcel Conche fait à juste titre le parallèle avec le « tonneau des Danaïdes » mais reste sur l’idée du vide. Enfin, il est bien évident que le Tao génère son flux indépendamment d’une volonté extérieure ou d’un usage ou besoin "personnel".

 

Le Tao dissémine sans jamais se remplir

Le Tao bouillonne, projette de la matière, de l’énergie sans que cette matière créée ne puisse jamais le remplir, le combler ; sans que cet usage, cette fonction ne puisse jamais s’épuiser.

► Le Tao est comme une sorte de trou noir inversé qui, au lieu d’attirer à lui la matière, la projette indéfiniment dans l’univers dont il est lui-même à l’origine, qui est en continuelle expansion et qui se confond avec lui. Sans fond et sans limites, il ne peut évidemment être plein. « Ce qui domine – profondeur infini, écoulement infini – est la pensée de l’infini » précise Marcel Conche.

 

Réflexions :

1. A l’instar du Tao, ne pas se remplir de ses propres productions ou créations intellectuelles, ne pas prendre la grosse tête ou laisser ses chevilles trop enfler, Cf. 2-14.

2. Disséminer, multiplier les bienfaits mais sans rien attendre en retour ! On n’est jamais trop plein de générosité ou d’amour et cette fonction se renforce et nous renforce à l’usage. Nos qualités émanent du plus profond de notre être. Notre humanité ne s’use que si on ne s’en sert pas.

3. Nous sommes également sans fond dans notre capacité à produire des idées, à innover, à réfléchir, à nous améliorer. « De quelque côté que l’âme aille sur le chemin de connaissance, vers le dedans ou le dehors, le haut ou le bas, elle ne rencontre pas de limite à sa capacité de faire la lumière. » (Marcel Conche, Héraclite, p.360)

4. Tout comme la démocratie ou la liberté de la presse, le Tao ne s’userait-il que lorsqu’on ne s’en sert pas, lorsqu’on oublie sa présence ?

 

Le Mendiant



[1] Qui parlera néanmoins du vide dans la phrase suivante !

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