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2 novembre 2018 5 02 /11 /novembre /2018 08:00

Pourquoi le féminin est sombre et mystérieux. Comment le vide est immortel et créateur. Pourquoi les deux notions sont liées.

 

 

gǔ shén bù sǐ, shì wèi xuán pìn

Vallée – Esprit – Pas – Mourir – Être – Appeler – Mystérieux/Sombre – Femelle

 

[gǔ] signifie vallée, gorge, céréal, grain ou millet avec, pour certains commentateurs, une extension vers l’idée de « nourrir ».  [shén] signifie dieu(x), divinité(s), surnaturel, magique, esprit ou intelligent. [sǐ] signifie mourir, la mort, le mort, à mort ou mortel mais aussi infranchissable, implacable, inflexible ou rigide. () [wèi] signifie dire, appeler, parler de, nom, signification ou sens, Cf. 1-8. [xuán] signifie noir, sombre, profond, obscur, abscons, peu fiable, incroyable ou mystérieux, Cf. 1-8 [pìn] est un caractère peu usité signifiant femelle. Comme le souligne Marcel Conche, il est utilisé à la place de femme afin d’écarter tout anthropomorphisme.

 

Trad.1 :

Le Shen/l’esprit/l’âme de la Vallée/du val/des profondeurs est immortel/impérissable/ne meurt pas, on l'appelle, ceci évoque, là réside/ c’est elle qu’on appelle la Femelle Mystérieuse, la femelle obscure, le principe féminin, l’insondable féminin.

♥ « L'esprit de la vallée ne peut mourir. Mystérieux féminin. » (Ma Kou)

► Après le soufflet, voici l’image de la Vallée, l’espace vide entre deux montagnes, pour continuer à exprimer, cf. 5-3, le vide-créateur, souffle inépuisable (le terme esprit vient du latin spiritus qui signifie « souffle ») et source de toute vie, d’où l’analogie avec la matrice femelle, la « Grande Mère » comme l’appelle Stephen Mitchell. « L’image de la vallée est la plus suggestive, elle est ample, vaste, vide et peut accueillir les eaux, de même que celui qui nourrit sa vie est vide et accueille le souffle de l’harmonie, le souffle céleste, les divinités qui viennent en lui, ou encore la Voie selon l’interprétation des maîtres célestes » (Catherine Despeux, p.75)

 

La notion de « principe féminin » évoqué par Didier Gonin nous interpelle sur la notion de Yin, principe féminin de la nature associé à ce qui est négatif, froid, sombre et mystérieux. Dans sa version simplifié  , le radical [fù] est une simplification de qui désigne une monticule, une butte mais aussi l’adverbe abondant. Il est associé à yuè qui est la lune (le Yang est associé au soleil )  La version traditionnelle, que l’on retrouve encore à Hong Kong, en Corée ou au Japon s’écrit avec le même radicalassocié cette fois à [yīn], composition de [jīn] qui signifie maintenant ou aujourd’hui et de [yún] qui signifie nuage.  Le sens littéral serait donc « la partie nuageuse de la butte. »  Selon le Shuowen jiezi, dictionnaire de la dynastie Han, le sens de yin est : « sombre, [comme] le sud de l'eau ou le nord de la montagne »  (Wikipédia) L’analogie de l’alternance de l’ombre et du soleil sur une montagne et une vallée est traditionnellement utilisée pour exprimer la relation entre le Yin et le Yang. « En Chinois ancien, yin et yang signifient respectivement « ubac » et « adret », soit les versants ombragés et ensoleillés d’une vallée ou d’une montagne… […] Selon la position du soleil au fil du jour, l’adret devient ubac et vice versa… ce qui n’est pas le cas pour les binaires occidentaux plus dualistes. » (Marc Halévy, p.57-58)

 

vallee_nb.JPG

 

Trad.2 :

« L’entretien des âmes [intérieures] pour ne pas mourir, on le désigne aussi sous les noms d’insondable et de féminin » (traduction de Catherine Despeux selon le commentaire du Maître du Bord du Fleuve, p.228)

► « L’insondable, c’est le ciel ; chez l’homme cela correspond au nez. Le féminin, c’est la terre ; chez l’homme, cela correspond à la bouche. » explique Catherine Despeux. Le ciel procure le souffle qui pénètre l’homme via le nez. La terre procure la nourriture qui pénètre l’homme via la bouche. Respiration et nourriture sont les deux éléments clés de la vie. Dans cette version, le terme [gǔ] a donc été pris dans le sens de grain ou de céréale pour signifier l’idée de « nourrir ». Les termes [xuán] et [pìn] ont également été différenciés et font allusion à des parties du corps, le nez et la bouche.

 

Trad.3 :

« Si l’on désire que son âme ne meure pas, il faut se référer à l’insondable et au féminin » (traduction de Catherine Despeux selon le commentaire de « Je me tourne vers vous », p.230)

► « Le féminin, c’est la terre, de nature paisible […] Si un homme veut concentrer son essence, son esprit doit être à l’image de la terre, comme une femme, et ne pas agir en se donnant la priorité » explique Catherine Despeux. On retrouvera cette idée de l’impassibilité féminine en 10-5. Cette interprétation est néanmoins basée sur l’utilisation du terme [yù] signifiant « désir ou désirer » plutôt que le classique [gǔ]. On y remarquera en effet le même radical [gǔ].

 

Trad.4 :

« L’esprit, vide comme le val, est au-delà de la mort, insondable détachement et féminine souplesse. » (traduction de Catherine Despeux selon le commentaire de Cheng Xuanying, éminant taoïste des Tang, p.233)

► Nous avons là une traduction influencée par la pensée bouddhiste : « le Val est l’espace vide, la sagesse efficiente et merveilleuse, la prajna des bouddhistes. L’esprit ayant réalisé la vacuité est détaché de la vie et de la mort, du samsara. L’insondable évoque l’état indicible de l’esprit qui ne demeure dans aucune notion ; le féminin suggère sa souplesse » explique Catherine Despeux.

 

♫ L’esprit immortel de la vallée évoque l’obscur féminin

Nous aurions pu pousser l’audace jusqu’à remplacer « obscur féminin » par le concept de « yin » mais il nous faut aussi rester fidèle au texte et à cette idée de mystère.

 

Réflexions :

1. Laozi n’a pas finit de faire couler de l’encre car il n’y a pas que le principe féminin qui est obscur !

2. Quel homme n’a pas déploré l’obscurité féminine ?  Mais n’est-ce pas cela – cette mystérieuse complémentarité – qui donne un intérêt à la relation ?

3. La femme ne vient pas de Vénus, d’une autre planète, mais – tout comme les hommes d’ailleurs – de la vallée profonde, d’un lieu où il possible de retourner en se recentrant sur soi, en faisant le vide dans son esprit, pour se reconnecter à l’énergie de l’univers, à l’esprit immortel de la vallée.

4. L’âme est immortelle parce qu’elle demeure mystérieuse, ne peut être définie précisément, est détachée du matériel.  L’immortalité requiert le détachement, la non-action, Cf. 2-15.

 

Le Mendiant

 

 

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