Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 08:00

 

Pourquoi la solitude est la destinée du sage. Pourquoi les rivalités sont inévitables en société.

 

争,故 尤。

fū wéi bù zhēng, gù wú yóu

Homme – Seul – Pas – Se disputer, Ainsi – [négation] – Blamer

 

[fū] signifie homme ou mari  [wéi] signifie seulement ou seul. Cf. 2-15   [zhēng] signifie se disputer, argumenter, polémiquer, combattre, s’efforcer de ou vouloir, Cf. 3-1  [yóu] signifie blamer, avoir une dent contre, faute, méfait ou en particulier.

 

Traductions :

Donc son souci est (comme l’eau) de ne lutter (jamais) (contre personne), de ne point rivaliser, de ne pas agresser. C'est pour cela qu'il n'a pas de mauvaise surprise, n'engendre rien de répréhensible, ne reçoit aucune marque de blâme, aucune récrimination, est sans reproche, est irréprochable, ne peut s'égarer, n’éprouve aucune contradiction.

♥ « Qui renonce à rivaliser échappe à toute critique. » (Richard Wilhelm)

♣  « Est sans reproche qui n'est rival de rien » (Jean Levi)

► La conclusion du chapitre est dans la continuité de 8-2 : le sage, comme l’eau, ne s’oppose à rien et à personne et donc vit paisiblement, sans blâme ni reproche. Pour vivre heureux, vivons caché ?  Le sage ne se cache pas mais n’attire pas l’attention sur lui, imite l’eau mais ne fait pas de vagues, ne reste pas passif mais agit à bon escient, avec justesse.

 

seul_ocean_nb.jpgphoto Diane Mottez

 

♫ Seul, sans rivalité, sans faute

ou « Seul, nulle rivalité, nul reproche »

Le choix ici de l’originalité par rapport aux traductions "classiques"

 

Contre-sens ?

La palme de l’interprétation revient une fois encore à Stéphen Mitchell pour son « Lorsque tu te satisfaits d'être simplement toi-même et ne te compares ni ne te mets en compétition, tout le monde te respecte. » 23 mots en place des 7 caractères chinois, c’est un record !  D’autres auteurs ont fait des phrases à rallonge mais au moins le sens est plus ou moins respecté !  Aucun ne retient par contre le sens premier de à savoir « homme seul », comme dans 2-15. Il est vrai qu’un « Seul, on ne se dispute pas et on évite la critique » aurait été par trop trivial… Duyvendak précise que sa traduction de fou wei « tournure qui est fréquente dans le Tao-tö-king » est « En vérité, c’est précisément parce que » mais nous n’avons de toute évidence pas le même dictionnaire…

 

Réflexions :

1. « On juge un homme sur ses ennemis aussi bien que sur ses amis. » a dit Joseph Conrad. Comment donc juger le sage qui n’a ni amis ni ennemis, qui considère autrui comme « chien-de-paille » (5-2) ?  Comment juger quelqu’un sans ego ?

2. Qu’importe ce que pense autrui et ses éventuels reproches !  Dans quelle mesure suis-je d’ailleurs responsable de ce que pense autrui ?  Ma seule responsabilité n’est-elle pas vis-à-vis de mes propres valeurs ? En outre, il semble difficile de prévenir toute rivalité puisqu’une rivalité vient de l’extérieur et qu’il ne saurait être questiion de contrôler autrui.  

3. « Sans la liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloge flatteur » (Beaumarchais).  En toute logique, le Sage se moque à la fois du blâme et de l’éloge.

4. Être proche du Tao, être toujours juste, être toujours sage, n’est-ce pas justement inciter à la convoitise, instiller une certaine jalousie. « Sans mise en avant des vertueux, nul ressentiment » dit 3-1 mais qu’est-ce donc alors que cette Perfection décrite ici. Le sage semble ainsi bien condamné à la solitude afin de ne pas devenir modèle et donc source de passions voire source de violence…

5. Les hommes acceptent facilement l’imperfection des autres – voire s’en délectent dans les médias – mais sont mal à l’aise vis-à-vis de la perfection. Nous sommes prodiges en critiques mais avares en compliments car nous avons tendance à nous comparer aux autres et ne supportons pas la perfection d’autrui, d’où les persécutions dont on fait l’objet un certain nombre de sages et, à nouveau, la tentation de l’isolement pour être vraiment tranquille.

 

Le Mendiant

Partager cet article
Repost0

commentaires