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31 janvier 2018 3 31 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi tout apparaît d’abord comme sombre ou mystérieux… Pourquoi le Tao est nécessairement le plus grand des mystères…

 

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tóng wèi zhī xuán, xuán zhī yòu xuán,

Ensemble – Signification - [liaison] – Mystérieux, Mystérieux - [liaison] – Encore – Mystérieux

 

() [wèi] signifie dire, appeler, parler de, nom, signification ou sens. [xuán] signifie noir, sombre, profond, obscur, abscons, peu fiable, incroyable ou mystérieux. Selon Catherine Despeux, il s’agit, dans le Laozi, du qualificatif le plus élogieux pour désigner la Voie : « Xuan désigne ce quelque chose dans quoi on plonge sans pouvoir saisir rien de précis, mais dont le charme et l’effet sont infinis. C’est la saisie gobale et totale des choses au-delà de l’aspect limité des sens, notamment du regard. » (p.67) [yòu] signifie aussi, une fois de plus, encore ou de nouveau.  

 

Trad. 1 :                    

Ce fond unique, est profond, constitue l’origine, s’appelle ténèbres, mystère, obscurité, secret. Profondes, doublement profondes, obscurité de l’Obscur, ténèbres dans les ténèbres, mystère dans le mystère, de mystère en mystère, mystère suprême,…

♥ « Ce deux-un est mystère » ((François Huang et Pierre Leyris) « Mystère du mystère [… ] » (Ma Kou)

♣ « Pensés ensemble: mystère! » (Docteur Marc Haven et Daniel Nazir) « Obscurcir cette obscurité » (Liou Kia-hway)

► Le Tao multiplie les couches de ténèbres, à mesure que l’on se dirige vers son fond (sa source, son essence) infini.  Rien n’est plus mystérieux que le Tao qui pourtant se révèle être…

 

Trad. 2 : (première partie : )

Ce que nous appelons unité demeure un mystère, ne peut-être comprise / L’Unité est incompréhensible, hors d’atteinte de l’esprit.

► Ces interprétations de Jonathan Star mettent l’accent sur en tant que principe de l’Unité (Cf.1-7) : le sens () de l’Unité () est un mystère ()

 

mysterious nb

 

Trad.3 :

« Cette commune origine est dite insondable. Cette insondable insondabilité… » (Catherine Despeux)

► « Si l’on parle d’insondable, c’est faute de pouvoir la qualifier […] Mais si l’on considère « insondable » comme une dénomination, alors on s’en éloigne. C’est pourquoi il est dit ensuite : « insondable insondabilité » (commentaires de Wang Bi, p.163) Le commentaire de Lao zi par Cheng Xuanying au VIIe siècle est encore plus clair : « L’homme qui a des désirs ne s’attache qu’à l’existence. Celui qui n’a pas de désirs s’attache en outre à la non-existence. [Lao zi] parle donc d’un premier "Mystère" pour rejeter ces deux liens. Puis il craint que l’adepte ne s’attache à ce "Mystère". S’il dit donc « encore Mystère », il repousse à nouveau la seconde maladie. Ainsi, non seulement il n’y aura pas d’attachement, mais il n’y aura pas non plus d’attachement au non-attachement. C’est là le rejet (des deux extrêmes) ; aussi dit-il « Mystère et encore Mystère ». (cité par Anne cheng, p. 254, à propos de l’Ecole Chongxuan, du « Double Mystère » […] « à ce qui a été aussi appelé « le double oubli », le redoublement étant l’oubli de l’oubli »)

Autre interprétations avec le « Maître du Bord du Fleuve », « L’insondable désigne le ciel : ceux qui ont du désir et ceux qui n’en ont pas reçoivent tous le souffle du ciel […] dans le ciel se trouve un autre ciel. Le soufle que chacun reçoit est d’une densité plus ou moins grande […] idée communément répandue dans la Chine ancienne selon laquelle les qualités morales et la caractère des individus dépendaient de la quantité et de la qualité du souffle qu’ils recevaient du ciel à la naissance et qui constituait leur ming, c’est-à-dire à la fois leur force vitale et leur destin.» (Catherine Despeux, p.161) Il serait néanmoins étonnant que Laozi puisse reprendre ce « déterminisme » ou principe de relative irresponsabilité à son compte.

Quoi qu’il en soit, ces dernières interprétations coupent la phrase en deux, la seconde partie devant alors plutôt être reliée à la phrase suivante. Rappellons que rien n’est moins sûr, dans le Daode Jing, que les ponctuations et que le découpage exact du texte demeure donc un… mystère !

 

Contre-sens ?

Pas grand-chose à signaler sinon une étrange traduction de en « origine », qui, selon Jonathan Star, s’explique par l’utilisation de [yuán] qui signifie premier, original, principal, basique, fondamental, dans certains textes.

 

Unité mystérieuse, mystère du mystère

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Unité obscure, superposition de mystères »  

Ou alors : « Unité (appelée) obscure, obscurité de l’obscur… » : l’obscurité étant une désignation qui éloigne du Tao (puisque 1-1), il faut rajouter une couche d’obscur

 

Réflexions :

1. Il fait de plus en plus noir à mesure que l’on descend dans le puits mais c’est là que l’on trouve l’eau de la vie !

2. Descendre au fond de soi révèlera différentes strates de mystère pour finalement arriver à l’essence de notre être. Est-il besoin de s’attarder sur ces différents mystères (psychanalyse) ou bien vaut-il mieux continuer à descendre pour ensuite remonter ?

3. « Afin de rencontrer l’Être dans une expérience il faut donc se permettre d’aller vers le noir, vers l’ombre, vers les ténèbres. On retrouve cette exigence dans les mythes de toutes les traditions, dans les contes de fées. Sur le chemin, nous devons accepter les instincts primaires, le bassin, qui représente la transcendance de la terre. Nous devons accepter la matière (ce mot vient de mère). Nous devons accepter la grande Mère. » (Karlfried Graf Dürckheim[1])

4. L’Unité est difficile à percevoir, voire incompréhensible, nous qui avons tendance à distinguer et nommer chaque chose. Si l’on ne peut plus croire ce que l’on voit, alors ne peut-on pas douter de tout ?

 

Le Mendiant

 

[1] Karlfried Graf Dürckheim, Le Centre de l’Être, Albin Michel, 1992, p.74

 

 

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28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 08:00

Le principe fondamental de l’Unité, de l’Un, appel à la coopération et à l’harmonie plutôt qu’à la compétition et au stress de la dualité.

 

 

cǐ liǎng zhě tóng chū ér yì míng

Ces - Deux - [substitut] - Ensemble - Sortir - [conj.] - Différent – Nom

 

[tóng] signifie similaire, semblable, ensemble ou en commun [chū] signifie sortir, produire, arriver, excéder, dépasser,… [yì] signifie différent, étrange ou inhabituel.

 

Traductions :

Ces deux choses, ces deux perceptions du Tao, ces deux états, aspects, ont la même origine, le même fond, la même source, une même souche, sont issus de l’Un mais ont (sont désignés par) des noms différents, sont qualifiés différemment.

♥ « Deux noms issus de l'Un » (François Huang et Pierre Leyris)

► Le Tao est unique (Un) mais perceptible de diverses manières (essence ou manifestations, non-existence ou existence), fonction de l’éveil ou de la non-action de la personne. Deux découle du Un. Lao Zi affirme ici le principe de l’Unité, que l’on retrouve dans toutes les philosophies orientales ainsi que chez Héraclite, considéré comme le « taoïste grec » : « Il est sage que ceux qui ont écouté, non moi, mais le discours (logos λόγος), conviennent que tout est un » (Fragments, p.23)

 

 

 

mains_noir_blanc.jpg

 

 

Contre-sens ?

Peut-on considérer que fasse référence au désir et au non-désir (Cf. 1-5 et 1-6) ?   La source peut effectivement être la même (le coeur de l'homme) mais nous ne parlerions plus alors du Tao mais de l’homme, ce qui serait contradictoire ! Jonathan Star souligne que le débat de savoir à quoi faisait exactement référence a divisé les experts durant des siècles mais précise que peut aussi signifier "cette paire" ou "cette dualité", faisant ainsi référence à un principe général, en référence à toutes les dualités précédemment énoncées : tao exprimable contre Tao, nom énonçable contre Nom, sans-nom contre avec-nom, origine contre mère, sans-désir contre avec-désir, essence contre manifestations.

 

♫ Deux noms issus de l’Unité

Majuscule puisque référence au Tao.

 

Réflexions :

1. Des noms différents ou des interprétations différentes font souvent référence à la même réalité.

2. Il y a, face à un même évènement, autant de perception qu’il y a d’individus. La même pluie peut ainsi fâcher quelqu’un (vacancier) et en réjouir un autre (paysan).

3. 一分为二 [yīfēnwéi'èr], un se divise en deux, rien n’est jamais tout blanc et rien n’est jamais tout noir !

4. Tous les êtres sont constitués à partir de la même matière, de la même substance. Les hommes partagent 99.4% de leur patrimoine génétique avec les singes bonobos. Comment ne pas alors considérer les hommes, au-delà de leurs noms différents, comme frères ?

 

Le Mendiant 

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 08:00

L’incidence de notre ego sur la perception et la compréhension de ce qui est… Pourquoi ma vision du monde est-elle forcément egocentrique…

 

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cháng yǒu yù , yǐ guān qí jiǎo/jiào

Ordinaire/Souvent – [Il y a] - Désir - A cause de - Observer - Ses - Limites

 

[jiǎo] est un caractère que l’on rencontre peu fréquemment seul et qui fait référence à la chance : c’est indirectement, par chance, que l’homme ordinaire peut saisir certains aspects du Tao. Prononcé [jiào] , il signifie limite, frontière, borne ou faire le tour.

 

Trad. 1 : Habituellement soumis aux passions, aux préjugés, dans la volonté, dans l’avoir du désir, dans l’être, pris dans le désir, on contemple ses limites, ses manifestations, ses aspects manifestes, sa forme bornée, ses indices.

♥ « Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée » (Conradin Von Lauer)

► L’homme "ordinaire", centré sur lui-même, empli de désirs, ne peut percevoir le Tao que par chance, par accident, via ses manifestations visibles et donc forcément limitées et bornées. « Le cerveau ancien ne peut jamais être libre […] il est par conséquent incapable de découvrir ce qu’est la vérité » témoigne Krishnamurti (p.482) pour qui le cerveau ancien est le cerveau conditionné, « la réaction du temps, de la mémoire » (p.473). Cette phrase est à mettre en parallèle avec 1-4 : noms et ego permettent de distinguer toutes choses , ces choses étant des manifestations du Tao.

 

Trad. 2 : « Ceux qui demeurent dans la volonté ne voient que ce qu'ils recherchent » (Alexis Lavis)[1]

► Les hommes d’action (par opposition au non-agir du Sage) ne perçoivent en fait que ce qu’ils espèrent trouver, leurs sens participant nécessairement à une "personnalisation" du Tao… caricature du Tao véritable. « Ils sont maladroits dans l’art de vivre […] Ils parlent et agissent, ils vivent, dans des mondes qu’ils s’inventent, et donc dans une sorte de distraction à l’égard du réel et d’eux-mêmes. » (Héraclite/Conche, p.37). Ils ne vivent que dans leur monde sans voir le monde (p.40) « Ils sont donc présents au monde et à ce qui arrive, mais en même temps absents à la vérité de ce monde. » (p.49)

 

paysage nb 

Contre-sens ?

Au-delà de traductions toujours en chinois du style « En ce toujours étant considérons le Terme » ou de celles qui font l’impasse sur le (Cf. 1-5), certains auteur ont conservé le Tao en tant que sujet et renversé le sens de la phrase pour, ainsi, « son être éternel » que nous pourrions voir dans ses « manifestations visibles » alors que Lao Zi dit le contraire : l’essence ne peut être perçue qu’en faisant abstraction des manifestions perçus par nos sens et esprit individuel.  De même, comment par un « désir éternel » le Tao pourrait-il « manifester une limite » ?  Traduire [jiǎo] par « abords » du Tao peut également prêter à confusion quant aux limites du Tao. De même, comment quelqu’un « constamment dans le désir » pourrait-il « observer la périphérie où s’en tiennent les gens vulgaires de ce monde » (Catherine Despeux) alors qu’il fait par définition également partie de la masse ?  Comment observer activement l’extérieur lorsque l’on est passivement à l’intérieur ? 

 

♫ Empli d’ego, je perçois ses manifestations 

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Soumis à l’ego, j’interprète ses manifestations »

Empli de soi, l’homme est tributaire de ses sens et de son mental. Il perçoit le monde tel qu’il semble être c’est-à-dire composé des multiples choses nommées précédemment (有名, Cf.1-4). Le problème est que les manifestations, les représentations de ces choses sont des illusions qui ne correspondent pas à la Réalité. On pourrait ainsi dire « Sous l’emprise de l’ego, je vis dans l’illusion » ou, avec Héraclite « présents, ils sont absents » (p.48) A noter également que l’une des significations du mot brahman dans l'hindouisme est « la seule Réalité dont la manifestation (Māyā) n'est qu'une illusion » (Wikipedia).

 

Réflexions :

1. Rempli de moi-même, je peux percevoir des choses mais je les interprèterai, d’abord par mes sens (dont la sensibilité est limitée) puis selon mes propres schémas et préjugés. Cf. l’ouvrage L’Alchimie du Succès[2]. Ainsi, ma vision du monde ne pourra être qu’egocentrique. Mon ego dresse un mur, une limite, à ma compréhension de ce qui est.

2. Découlant de ce qui précède, je suis dans une très large mesure responsable de ma vision et de mon interprétation du monde. La douleur, selon les bouddhistes, repose sur ces illusions. « Plus vous vous identifiez à vos pensées, à vos goûts, à vos jugements et à vos interprétations, c'est-à-dire moins vous êtes présents en tant que conscience qui observe, plus grande sera la charge émotionnelle » rappelle Eckhart Tolle.[3]

3. Idem avec les médias qui se concentrent sur ce qui est extra-ordinaire, ce qui sort vraiment de l’ordinaire : les accidents, les meurtres, les catastrophes, autant de points noirs sur une feuille blanche. Le monde est heureusement plus que cela !

4. Trop occupé à penser à moi, je perçois bien que quelqu’un me parle, je note ses manifestations, mais le sens de ses paroles me dépasse complètement. La relation à l’autre n’est pas concrète mais superficielle.

5. Quelle est donc notre degré de liberté ? Comment donc atteindre une réflexion objective, libre de tout attachement, de tout sentiment ? En Chinois, le mot pour désigner l’esprit [xīn]  est le même que pour désigner le cœur, les sentiments et les intentions: la pensée reste tributaire de notre vécu et de nos sensations !

 

Le Mendiant

 

[1] Alexis Lavis, La voie du Tao, Pocket, 2010 qui, à quelques exceptions, comme ici, reprend la traduction de Stanislas Julien.

[2] Benoît Saint Girons, L’Alchimie du succès, Dangles, 1997.

[3] Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment présent, Ariane Editions, 2000, p.42

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24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi le détachement est nécessaire pour observer quelque chose… Comment la société de consommation nous empêche-t-elle d’accéder à la Réalité…

 

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gù cháng wú yù, yǐ guān qí miào

Ainsi – Ordinaire/Souvent – [Négation] – Désir -, A cause de – Observer - Sa - Subtilité

 

[gù] signifie incident, raison, cause, intentionnellement, ainsi, pour cette raison, ami, connaissance ou mourir. [cháng] signifie toujours, souvent, fréquemment, habituellement, commun, normal ou ordinaire. [yù] signifie le désir, le souhait ou la volonté. [yǐ] signifie à cause de, parce que, afin de, ainsi ou alors (verbe) utiliser. [guān] signifie (verbe) regarder ou observer ou (nom) la vue ou la conception de la nature des choses[qí] signifie son, sa, ses, cela, cet, etc. [miào] signifie merveilleux, excellent, ingénieux, intelligent ou subtil.

 

Traductions :

C’est pourquoi, si l’on est ordinairement sans passion, sans désir, dépourvu de désir, dans le non-vouloir, dans le non-être, en l’absence de tout désir, on perçoit/observe/contemple les/ses merveilles, l’essence, la vérité, son secret, sa racine, l’inconnaissable.

♥ « Par le non-être, saisissons son secret » (Liou Kia-hway)

♣ « Le vide de l'être médite la racine de toutes choses » (Ma Kou)

► Seul l’homme détaché des concepts, des préjugés, des interprétations, bref de son ego, peut se fondre dans le Tao et observer son essence. « Quand l’esprit humain, absolument arrêté, est complètement vide et calme, il est un miroir pur et net, capable de mirer l’essence ineffable et innommable du Principe lui-même » précise Léon Wieger. « L’Homme grand […] se fait le compagnon du monde sous le Ciel. […] Son visage et son corps sont unis à la Grande Unicité, la Grande Unicité dépourvue d’ego. Sans ego, comment acquérir quelque chose ? Ceux qui ont de la considération pour les acquisitions sont les hommes de bien d’antan (qui prisent les vertus acquises). Ceux qui ont de la considération pour la non-acquisition sont les amis de l’univers. » (Zhuang Zi XI, via Isabelle Robinet, p.180) Cette phrase est à mettre en parallèle avec 1-3 : absence de nom et absence d’ego pour remonter à l’origine ou percevoir l’essence .

 

meditation nb 

Contre-sens ?

Au-delà de traductions toujours en chinois du style « En ce toujours-n'étant considérons le Germe » (François Huang et Pierre Leyris) ou de celles qui font l’impasse sur [yù]  (« Il n’y a pas ») ou le traduisent mal (« attrait »), certains auteur ont conservé le Tao en tant que sujet : son « absence permanente » nous inviterait à « contempler le mystère » ou alors un « Non-désir éternel » représenterait son essence. Etonnant alors que le Tao est présent partout et en tout et ne saurait avoir de désir ou de volonté.  A noter aussi que si traduire [yù]  par "désir" ou "passion" est correct du point de vue de la traduction, ces termes méritent alors une explication afin d’en bien saisir toute la portée : désigne en fait toutes les manifestations d’un mental individualiste ou egotiste qui ne peut percevoir que les illusions de la réalité. En hindouisme, on parlerait de samskāra c’est-à-dire d'un « acte psychique, conditionné, et conditionnant. » (Wikipédia) Par extension, signifierait donc l’absence d’activité mentale. « It can be compared to the yogic state of unmana (beyond the mind), nirvakalpa (free of thought-constructs), or samadhi (pure or undivided awareness). This is the state beyond thought; it is the state of pure “I” awareness, the boundless state or unity that is free of ego and limitations. This is the mental state of Enlightened Being, of one in perfect harmony with Tao. » (Jonathan Star, p.283)  Traduire par "non-être" est un peu plus clair mais encore faut-il que "non-être" fasse bien référence à l’état d’esprit de l’observateur et non au Tao lui-même !

 

♫ Vide d’ego, j'observe son Essence.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Libéré de l’ego, j’appréhende son Essence »

Sans ego, débarrassé de l’ego, je comprends, je me fonds dans son essence. « N’ayant pas d’orgueil dans son cœur, [l’homme de bien] peut dépasser la doctrine des noms pour s’adonner au spontané. » (Poète Xi Kang, Se délivrer du moi, cité par Anne Cheng, p.326)

 

Réflexions :

1. Il convient de vider sa « tasse mentale » pour avoir une chance de profiter des enseignements, d’apprendre des expériences. La réalité se trouve en effet au-delà des apparences  et n'apparaît qu'à ceux qui dépassent les préjugés, les illusions de leur ego.

2. L’exercice de la méditation est peut-être la meilleure voie pour percevoir ce qui est. « Les sages orientaux parlent d’une expansion de leur expérience du monde à des niveaux plus élevés de conscience » (Capra, p.183)

3. « Si l’on met à part certains courants de la phénoménologie, la philosophie européenne se définit comme une saisie du réel. Pour la pensée indienne, la quête de vérité passe par un dessaisissement. Car dans sa visée intentionnelle, la saisie du moi, principe d’identification, me place dans un rapport faux aux choses : je les englobe dans un mouvement de retour à moi et y projette, malgré moi, les expériences passées qui m’habitent. Et je suis tentée d’ériger cette parcelle du réel identifiée par moi en critère de vérité, car, dès lors que saisie, elle me constitue. A l’inverse, dans l’acte de dessaisissement, je me rends de plus en plus réceptive à la complexité du réel, qui est de l’ordre d’un champ absolument insaisissable ; mais dans lequel je peux me situer. » (Gisèle Siguier-Sauné[1])

4. Les passions sont autant de voiles, d’écrans, à la juste perception de la vie. Sans désir, sans volonté, sans envie, en limitant l’obsession de la performance ou du « toujours plus » on apprécie mieux l’instant présent et on limite les frustrations. Contentement personnel plutôt que développement impersonnel !

5. La société de consommation, en multipliant nos désirs, nous éloigne de la compréhension de ce qui est essentiel, nous empêche de retrouver le contact avec le Tao, avec notre vraie nature, qui est complète et ne requiert rien d’autre! Les hommes politiques, en parlant sans cesse de « pouvoir d’achat » garantissent les frustrations et les jalousies (Cf. 3-2) qui sous-tendent le « pouvoir économique ».

 

Le Mendiant

 

[1] Gisèle Siguier-Sauné, Le corps est parole, communication, échange, Philosophie Magazine, Septembre 2009, p.43

 

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22 janvier 2018 1 22 /01 /janvier /2018 08:00

La puissance des mots et les responsabilités qui en découlent... Notre rapport au monde et aux autres…

 

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yǒu míng wàn wù zhī mǔ

Avoir - Nom - Dix mille - Êtres - [liaison] – Mère

 

[yǒu] signifie à la fois avoir, posséder (verbe avoir, il y a)  et exister, il est quelque chose (verbe être). Il s’agit de l’autre face de [wú] et on les retrouvera en opposition dans 2-3. 有名 [yǒumíng] signifie bien connu ou célèbre mais on détachera à nouveau les caractères pour une mise en parallèle avec le de la phrase précédente. () [wàn] est l’unité de mesure pour dix mille et signifie ainsi également un très grand nombre, myriade, absolument, tous. [wù] signifie entité, chose, contenu, substance mais est aussi le monde extérieur distinct de soi-même. 万物 [wànwù] signifie ainsi toutes les choses sur terre. [mǔ] est la mère, le parent ou la femelle chez les animaux.

 

Trad. 1 :

Avec un nom, l’ayant-nom, le qui-a-nom est la mère des dix mille êtres, de toutes les choses particulières, de tous les êtres, de tout ce que nous percevons, choses et êtres.

♥ « En tant que mère des dix mille êtres, il a un nom » (Henning Strom) « Ce que l'on peut qualifier est la mère des dix mille êtres. » (Catherine Despeux)

► Dans la continuité de 1-3, le ciel et la terre, que l’on peut nommer puisque entités matérielles, sont à l’origine de toutes les créatures, de toutes les choses. « Le ciel et la terre sont le père et la mère de tous les êtres. Par leur union, ils forment le corps ; par leur séparation, on retourne à l’origine » (Zhuang Zi, XIX[1])

 

Trad. 2 :

« Les noms donnent leur Mère aux Dix milles êtres.» (Claude Larre)

♣ « Nommer est l'origine de toutes choses particulières. » (Stephen Mitchell)

► D’un point de vue plus général, donner un nom caractérise chaque chose et les "créés" ainsi vis-à-vis de notre esprit, les rends distinct. La « mère des dix mille êtres » serait ainsi ici notre cerveau, notre raison qui aime différencier et cataloguer, oubliant l’unité fondamentale du Tao. Cette interprétation est cohérente avec la suite qui traitera de l’état d’esprit adéquat pour percevoir le Tao.

 

Trad.3 :

L'être, l’être avec un nom, le terme Être est/indique la mère de toutes choses

♥ « L'existence est la mère de toutes les choses » (Shi Bo)

► Quoi de plus logique en effet que de dire que l’existence, ce à quoi on a donc pu attribuer un nom, est le géniteur de toutes les choses (ayant également des noms) ? L’idée est encore renforcée si l’on interprète 万物 au sens littéral : « l’être est la mère des dix milles êtres ». Ce processus infini de multiplication est en cohérence avec la dynamique du Tao, « matériel et élément de base de tout ce qu’il y a de concret dans notre univers » selon Shi Bo.

 

terre nb

 

♫ Nommables, mères de toutes choses.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Noms, mères de toutes choses »

« S’il y a délimitation (fen), on perd l’absolu […] Tous les êtres ont une désignation, un nom, qui par là même en nie l’absolu. Dès qu’il y a nom, il y a délimitation ; dès qu’il y a forme, il y a finitude » (Wang Bi, cité par Anne Cheng, p.332)

 

Réflexions :

1. La pensée est structurée par notre langage. Notre vision des choses est influencée par la manière dont nous appelons ces choses. Si nous avions donné aux chats le nom d’« araignée », il y aurait nettement moins de personnes atteintes d’arachnophobie!

2. On craint ce qu’on ne connait pas et donner un nom rassure. Un « alien », du latin aliēnus qui signifie « être étranger à quelqu'un ou quelque chose » (merci wikipédia !) sera ainsi toujours moins rassurant – à tort – qu’un « Xénomorphe », déjà catalogué et dûment référencé !

3. Prononcer un mot suffit souvent à provoquer des sentiments ou une réaction. Le mot « sexe » prononcé dans une assemblée suffit à induire un silence relatif. L’avertissement « attention à ne pas avoir peur » à un enfant suffit à lui faire prendre peur. Les mots sont « mères » de beaucoup de maux !

4. Nous sommes, comme toutes les autres créatures, des enfants de la Nature, des manifestations du Tao. « Dans tous les mythes fondateurs de la genèse, Dieu fabrique l’homme avec de l’argile […] Dans les langues latines le mot humus a donné homme et humilité. Tout ceci est lourd de sens, l’homme est pétri de terre, l’homme est fils de la Terre. » (Claude et Lydia Bourguignon[2])

5. « Le père a disparu, toute relation a disparu. […] C’est la situation de l’homme moderne, car vous êtes devenu incapable de considérer l’univers en tant que père ou que mère. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que tout le monde soit névrosé ! » (Osho[3])

6. Il est illusoire pour l’homme d’essayer de contrôler la nature. Il devrait au contraire se fondre en elle, faire un avec elle. Nous ne venons pas au monde mais du monde, nous en sommes sortis « comme une branche d'un arbre » (Alan Watts). Respecter la nature mais surtout respecter sa nature: devenir ce que l'on est (Nietzsche), être authentique et suivre son potentiel.                    

7. Nous ne sommes, individuellement, qu’un par rapport aux dix mille êtres, à toutes les autres créatures. Petite personne égotiste face à la multitude. Nous pouvons nous mettre sur la pointe des pieds pour essayer de les dépasser (compétition et donc stress) ou bien choisir la coopération fraternelle, dans le sens où nous avons tous les mêmes parents (le ciel et la terre).

 

Le Mendiant

 

[1] Tchouang-tseu, Œuvre complète, traduction de Liou Kia-hway, Gallimard/Unesco, 1969, Chap XIX, p.150

[2] Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs, Editions Sang de la Terre, 2009, p.24

[3] Osho, L’Evangile de Thomas, Editions du Relié, 2004, p.389

 

 

 

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20 janvier 2018 6 20 /01 /janvier /2018 08:00

Comment définir ou appeler le chaos, le principe premier ?  Doit-on seulement essayer de le conceptualiser ?  Quelle est l’origine de l’univers ?

 

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wú míng tiān dì zhī shǐ

[Négation] - Nom - Ciel - Terre - [liaison] – Origine

 

() [wú] est la négation, le vide et signifie ne pas avoir, ne pas être, ce qui n’est pas, l’inexistant, il n’y a pas, rien, nul, pas. 无名 [wúmíng] signifie inconnu, anonyme ou accidentel. [wú míng], espacé, signifie sans nom ou vide de nom. [tiān] est le ciel, [dì] est la terre, 天地 [tiāndì] est l’univers, le monde, le champ d'action ou d'activité. [zhī] est un mot de liaison remplaçant une personne ou une chose comme complément. [shǐ] est le début, l’origine, le commencement.

 

Trad.1 :

Le Sans-Nom représente l’origine de l’univers / En tant qu'origine du Ciel et de la Terre, il est sans nom / Elle n'a pas de nom: Ciel-et-Terre en procède

♥  « Vide de nom, est l'origine du ciel et de la terre » (Ma Kou) « Ce que l'on ne peut qualifier est le commencement du ciel et de la terre. » (Catherine Despeux)

♣ « L'indicible est l'éternellement réel » (Stephen Mitchell)

► Le Tao, sans nom donc, indivisible et impossible à conceptualiser, à qualifier, est le Principe primordial, la Cause de l’univers qui, rappelons-le, correspond à la structure du caractère (Cf. 1-1).

« […] du commencement résulte l’accomplissement, mais on ignore ce qui fait qu’il en est ainsi : insondable insondabilité » (Commentaires de Wang Bi par Catherine Despeux, p.162)

 

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Trad.2 :

Le non-être, l’être sans nom, le terme Non-être est l'origine, indique le commencement du Ciel et de la Terre.

« La non-existence est l’origine du ciel et de la terre » (Shi Bo)

► « Qu’y-a-t-il avant qu’il y ait quelque chose » me demanda notre fils Michaël à l’âge de quatre ans. Le chaos originel, créateur de l’univers, pourrait-il se traduire par l’idée de non-être, de non-existence ? Avant qu’il y ait quelque chose, il y a effectivement un "non-quelque chose" et cet "inconnu" (无名en attaché) ne peut avoir de nom !  De même, la non-existence est-elle devenue existence "accidentellement" (autre sens de无名 attaché) ?  Nous nageons ici en plein mystère ! (, Cf. 1-8)

 

Contre-sens ?

Cette idée de "non-être" pour définir le Tao reste confuse (au contraire de l’expression "non-existence") car le Tao transcende les êtres, les englobe, selon le principe de « tout en chaque chose et chaque chose en tout » (Capra, p.297). Il ne saurait ainsi être en antagonisme avec eux ou être définit par rapport à eux. De même, définir « ce qui ne porte pas de nom » par le « non-être » reviendrait à dire, à l’inverse, que seul le nom crée l’être voire, en poussant la réflexion au contexte contemporain, que je ne suis quelqu’un que si je me suis fait un nom, que si je porte des marques, variante du « Celui qui n’a pas de Rolex avant 50 ans a raté sa vie »  de Séguéla. Lao Zi dit évidemment tout le contraire : le nom ne saurait définir l’être ! (Cf.1-2)

 

♫ Innommable, Origine du Ciel et de la Terre

Sans-nom puisque l’action de nommer le Tao est illusoire. Majuscule puisque l’univers n’a qu’une Origine.

Amendement (Sept 2011) à la proposition précédente: « Sans-nom, Origine de l’Univers » en conformité au Huainanzi qui établit une chronologie et une distinction : « Avant l’apparition du ciel et de la terre, il y avait seulement ce qui n’a pas de forme, que l’on nomma le grand commencement. La Voie est issue du vide. Du vide est apparu l’univers qui produisit le souffle. Les souffles limpides et légers montèrent et formèrent le ciel, les souffles impurs et lourds descendirent et formèrent la terre. » (Huainanzi, juan 3, 1a, cité par Catherine Despeux, p.56)

 

Réflexions :

1. Le nom, les marques, les signes extérieurs de richesse ou de pauvreté, ne pourront jamais retranscrire la complexité de chaque être.

2.  Dans un monde de mise en scène et de personnages (le terme personnalité vient du latin persona qui signifie masque), c’est ce qui n’est pas apparent qui nous ressemble et nous rassemble le plus.

3. Nous ne pourrons être à l’aise dans nos accomplissements que si nous retrouvons le contact avec notre être véritable (sans persona ou « masque social ») c’est-à-dire si nous faisons ce qui correspond véritablement à notre nature, si nous suivons nos rêves véritablement personnels. Voir mon ouvrage L’obsession de la performance.

4. Ne pas avoir de nom met le Tao à l’abri de tout dogmatisme, de tout concept, de toute idolâtrie et, l’esprit clair, facilite son immersion en lui, son expérience de lui. C’est la même raison qui pousse les juifs à ne pas parler de Dieu ou même prononcer son nom (YHWH  en hébreu) «There's a great mystery out there. You can open yourself up to it; experience some of it. But you'll never understand it. But you don't need to understand it. You just need to relate to it.» (Vine DeLoria, Jr., Professor of Religious Studies, dans le film The Great Mystery)

 

Le Mendiant 

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17 janvier 2018 3 17 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi convient-il de se méfier des noms ?  Comment appeler ce qui est en constante évolution ? Comment décrire la Réalité par le langage ?

 

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míng kě míng fēi cháng míng

Nom – Pouvoir - Nom – Non - Ordinaire/éternel – Nom

 

Même structure que 1-1 avec [míng] qui signifie nom, réputation, célébrité, bien-connu, fameux, mais qui correspond aussi au concept du langage. « La réalité étant perçue comme un tout continu, le langage (ce que les Chinois appellent « les noms ») apparait comme un simple instrument qui permet de « découper » (fen), c'est-à-dire de pratiquer des distinctions pertinentes […] le fait de découper étant une façon d’analyser la réalité  mais aussi de l’évaluer. » (Anne Cheng, p. 150) 

 

Trad. 1 :

Le(s) nom(s) que l’on peut nommer/énoncer n’est (ne sont) pas le Nom éternel, véritable, ne sont déjà plus le Nom 

« Et les noms qu'on peut nommer ne sont déjà plus le Nom. » (Claude Larre)

► Le Nom Eternel, Véritable ou Absolu fait référence au pouvoir du Tao Créateur, à l’ordonnance du monde via le Verbe, tel qu’on le comprend également dans la Bible : "Au commencement était le Verbe / la Parole / le Logos" (Prologue Evangile selon St-Jean).[1]  C’est d’ailleurs le mot [dào] que l’on retrouve dans la Bible traduite en chinois :   Notons toutefois que Lao Zi met en garde contre le langage et la raison, toutes deux considérées comme limitées et que le terme grec logos λόγος désigne à la fois la raison-intelligence et son expression, le langage.  Le terme de logos ne serait donc pas approprié pour traduire le Daode Jing.  Enfin, signalons avec Jonathan Star que cette notion de « Nom Eternel » en tant que principe suprême n’est plus mentionné dans le reste du texte… comme si cette interprétation n’était pas la bonne !

 

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Quand le Tao prend nom...

 

Trad. 2 :

Le nom qu’on lui donne, qu’on veut lui donner, qui peut la nommer (la voie), n’est pas son nom immuable, adéquat, éternel, le Nom pour toujours.

♥ « Le nom que l'on peut lui donner n'est pas le nom éternel » (Shi Bo) 

► Le nom que l’on pourrait lui trouver ne saurait être son vrai nom, le Tao ne pouvant avoir de nom puisque 1-1. Il y aurait là une curieuse tautologie… qui permet néanmoins à Marcel Conche de préciser: « Le nom « de toujours » de ce que le mot « Tao » désigne est : Sans-Nom. »[2], 无名[wúmíng] que l’on retrouve en 1-3. « Le Tao ne peut-être entendu ; ce qui s’entend n’est pas lui. Le Tao ne peut être vu ; ce qui se voit n’est pas lui. Le Tao ne peut être énoncé ; ce qui s’énonce n’est pas lui. Qui donc connaît ce qui engendre les formes est sans forme. Le Tao ne doit pas être nommé. » (Zhuang Zi, XXII, p.181)

 

Trad. 3 :

Le nom qu'on peut nommer, qui peut-être nommé, n'est pas un nom permanent

► Sans majuscule à nom, il est fait ici référence aux noms des dictionnaires, inventions de l’esprit. Un nom est subjectif car limité à une définition là où la réalité est mouvance et donc indéfinissable, innommable. « S’il y a nom, il y a détermination, et tous les êtres ne peuvent être embrassés. Donc, quand il y a bruit, ce n’est pas le Grand Son… S’il y a forme, il y a détermination… Aussi une image qui a forme ne peut-elle être la Grande Image. » (Wang Bi, Lao 41, cité par Anne Robinet, p.213)

 

Trad.4 :

« Un renom que l'on peut qualifier n'est pas le renom constant. » (Catherine Despeux)

► Il n’est plus ici question du Tao mais de l’homme, de même que la « Voie constante » faisait précédemment référence chez certains auteurs – dont le « Maître du bord du fleuve » (Heshang gong) – à des pratiques visant à la longévité : « nourrir ses espris sans intervenir, […] retenir sa lumière et l’atténuer ». La signification de cette seconde phrase est qu’il n’est pas de renom constant c’est-à-dire de « célébrité spontanée qui perdure ». « La renommée durable vient de ce que l’on protège la vie comme on protège le jeune enfant qui ne parle pas encore ; il en est comme de l’œuf couvé, de la perle dans l’huître ou du beau jade encore dans sa gangue : l’intérieur est lumineux mais l’extérieur paraît vil. »(Catherine Despeux, p.160) Cette interprétation « pratique » sort toutefois nettement du cadre du taoïsme philosophique ou spirituel (tao-chia) que nous traiterons ici. 

 

♫ Le nom énonçable n'est pas Le Nom. 

La majuscule permet les trois interprétations : le pouvoir créateur du Tao (Sens 1), le nom du Tao lui-même (Sens 2) ou la réalité intrinsèque d’une chose quelconque (Sens 3).

 

Réflexions :

1. Ce que l’esprit humain saisit n’est pas la réalité mais une interprétation personnelle ou sociale de la réalité. La preuve en est les différents dictionnaires avec des définitions différentes de chaque mot, susceptibles d’évoluer d’une année sur l’autre voire de changer de sens !

2. Le mot "arbre" n’a pas la même résonnance selon les individus : certains imagineront un pommier, d’autres un saule-pleureur. Qui est encore capable d’observer l’essence de l’arbre sans y ajouter ses techniques, concepts, expériences ou préjugés ?  Du botaniste au citadin, la vision de l’arbre ne sera pas la même.

3. S’il est difficile de définir "arbre", qu’en est-il de concepts tels que "vertu", "vérité", "justice", "richesse", "sagesse", etc. Se méfier des définitions formatées par les médias. Ne pas hésiter à s’interroger sur le sens des mots car les mots déterminent la qualité de la réflexion et au final son niveau de liberté.

4. Voir au-delà des définitions nous permettra de redécouvrir une harmonie extérieure, une cohérence fondamentale, de ressentir la nature fondamentale des choses. (Cf. 1-5)

5. Essayer de se « faire un nom » est aussi vain que dérisoire et susceptible, comme nous le verrons en 3-1, de créer du désordre social et de susciter des jalousies.

 

Le Mendiant

 

[1] Il va de soi que les textes originaux en hébreu (Genèse) ou en Grec (Evangiles) offrent davantage de souplesse et de subtilités que les traductions qui ont été faites : La bible que l’on nomme bible n’est pas La Bible !

[2] Marcel Conche, Tao Te king, PUF, 2003, p.43

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16 janvier 2018 2 16 /01 /janvier /2018 08:00

Pourquoi donc un blog pour accueillir le Daode Jing de Lao Zi ?  Les réponses à cette question légitime sont multiples :

 

1. Le Daode Jing est un texte qui appartient au patrimoine de l’humanité et qui aurait, selon la légende, été écrit par Lao Zi suite à la demande d’un simple garde frontière. Quoi de plus normal que le texte s’affranchisse ainsi de toute barrière et se répande dans le monde virtuel ?

 

2. Les traductions du Daode Jing sont nombreuses et loin d’être définitives, les différentes versions du texte original et la nature polysémiques des caractères chinois offrant de multiples interprétations possibles. Mettre à profit l’interactivité offerte par internet pour échanger sur le sujet apparait dès lors comme une évidence. 

 

3. La force du texte est son universalité doublée de la résonance particulière qu’il produit sur chaque lecteur, à chaque lecture. Autant d’expériences individuelles, de « sens du Tao » qui pourront s’exprimer librement sur ce blog et enrichir ainsi l’expérience de l’ensemble des lecteurs.

 

4. La lecture du Daode Jing est une expérience "globale", structurante et multi-sensorielle, pour autant que l’on prenne le temps de la patience, du gong fu. Alors que le Daode Jing peut être lu en moins d’une heure de temps (en saisissant même quelques idées au passage), ce blog aura un rythme bien plus lent et présentera le texte phrase par phrase afin de permettre une compréhension intime de la philosophie taoïste. N’oubliez pas de vous abonner à la newsletter (section "J’aime ce blog") afin de pouvoir être averti à chaque pas en avant.

 

5. L’ascension du Daode Jing est une aventure qui prendra une dizaine d'années et le risque est grand de se perdre ou de s’oublier en route. « Le philosophe est celui qui répond à l’invite du fantôme : pour atteindre l’universel, il se sépare du commun des hommes, de la collectivité. Il est un isolé ayant rompu, par le doute, avec les croyances de la collectivité ; s’étant par là séparée d’elle, il est une exception. » (Héraclite/Conche, p.59) Ce blog et les échanges générés, les erreurs et les contradictions relevées, permettront de relativiser ma posture de "philosophe" et de garder les pieds sur terre.

 

 

 

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6. Le message du Daode Jing, humaniste et écologique, est une réponse aux défis qui affectent la planète et l’espèce humaine dans son ensemble. A la croissance et à l’accumulation, Lao Zi répond par la simplicité et par le vide; au bruit et à la foule, il propose le silence et la réflexion; à la rigidité et à la force, il oppose la souplesse et la faiblesse. Surtout, à une vision binaire, prédatrice et mécaniste du monde, Lao Zi oppose l’Unité fondamentale, la coopération et la biologie. L’urgence justifie une diffusion rapide de ces idées.

 

7. Le Daode Jing est par essence un texte engagé et militant : n’oublions pas que Lao Zi quittait un pouvoir corrompu ! Il reste donc éminemment d’actualité et susceptible d’intéresser tous ceux qui aspirent à autre chose, à un autre type de société ! Or internet demeure un formidable lieu de contestation, de rassemblement, de ralliement…

 

8. Mon cheminement m’avait déjà fait croiser la Voie de Lao Zi et le personnage du Mendiant, développée dans Le Mendiant et le Milliardaire, n’est pas sans rappeler la figure du sage taoïste. Mon essai L’obsession de la performance remettait également en cause la loi de la jungle, le mythe de la croissance ou de la technologie. Traduire et commenter le Daode Jing me permet donc aussi de diffuser mes propres idées « politiquement incorrectes », à l’encontre d’un paradigme qui nous mène droit dans le mur. Or plus le temps passe et plus il sera difficile de changer de direction pour l’éviter…

 

9. La publication d’un livre prend toujours beaucoup de temps : deux ans en moyenne entre sa rédaction et sa sortie. Face à l’urgence et aux multiples manipulations, j’ai déjà choisi de diffuser gratuitement un conte écologique et un conte alimentaire via http://www.lemendiant.fr  Jamais deux sans trois !

 

10. Internet peut aussi être considéré comme une vitrine et je ne désespère pas d’arriver par ce biais à impliquer quelques médias. Jusqu’à retrouver le Daode Jing sous forme de rubrique régulière dans un magazine ?  La pertinence de la sagesse taoïste mériterait bien ce type de fantasme !

 

Quelles que soient ces raisons, ce sont néanmoins vos interactions, critiques constructives et commentaires qui permettront, au final, de mesurer la pertinence de cette diffusion sur internet. Faites donc passer le message auprès de vos amis curieux ou aventuriers : plus on sera de fous, moins il y aura de folie !

 

Le Mendiant

 

 

 

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20 octobre 2016 4 20 /10 /octobre /2016 08:00

Bonjour à tous!

Du 16 janvier 2011 au 8 avril 2013, j'ai publié sur ce blog, phrase après phrase, ma proposition de traduction et de commentaires des 11 premiers chapitres du Daode Jing de Lao Zi.

Cette aventure prend fin aujourd'hui avec la sortie le 23 novembre 2016 en librairie de mon livre Les Sens du Tao aux Editions Entrelacs (auteur: Benoît Saint Girons). Cette fin n'est ainsi qu'un nouveau commencement...

 

 

Je me suis concentré dans ce livre sur les trois premiers chapitres :

Le premier chapitre, de loin le plus fondamental, socle de l’ensemble de l’œuvre, véritable guide spirituel, traite du Tao, de sa nature insaisissable et de notre relation à lui, fonction de notre état d’esprit ou, plus exactement, de « non-esprit ».

Le deuxième chapitre, beaucoup plus concret, traite de la relativité de toutes choses et des illusions de la division – œuvre du mental – avant de décrire quelques manifestations du sage taoïste et notamment sa non-action légendaire.

Le troisième chapitre, sans doute le plus corrosif de l’œuvre – ainsi que l’objet du plus grand nombre de contresens – permet de comprendre pourquoi le confucianisme s’est imposé en Chine au détriment du taoïsme : Lao Zi y prône ni plus ni moins qu’un désengagement de l’état ! Une analyse contemporaine permet aussi d’y déceler une remise en cause radicale du système néolibéral et de ses manipulations consuméristes…

Le Tao, le Sage et le Système. Se pencher avec attention sur ces trois textes permettra-t-il de lever ensuite les yeux au ciel pour contempler la montagne taoïste dans toute sa profondeur ? Ce qui est sûr est qu’il serait illusoire de continuer la lecture sans avoir saisi la portée et les sens de ces chapitres...

Vous retrouverez dans ce livre la présentation que vous connaissez, largement enrichie par contre d'analyses, de réflexions et de perspectives spirituelles ou pratiques.

Du coup, ce blog sous sa forme historique va disparaitre, décision renforcée par l'invasion des publicités - indignes et contradictoires au Tao - imposée par Overblog en 2014.

L'idée initiale était d'initier un mouvement de réflexions et de commentaires autour du Tao mais j'avoue que cet objectif n'a pas été rempli... le blog ne recevant finalement que peu de commentaires par rapport au nombre de visiteurs (merci donc à ceux qui ont pris la peine d'en faire!)

Le livre enclenchera-t-il une autre dynamique ?  Nous verrons bien, sachant que "Se retirer une fois l'oeuvre accomplie est le Tao du Ciel" (9-5).

Il n'est pas impossible que la suite des 3 chapitres reprenne un jour sur un autre support plus conforme à l'esprit du Tao. C'est dans tous les cas sur www.lemendiant.fr que vous serez averti des évolutions envisagée...

Je vous remercie d'avoir pris part à cette aventure et vous donne donc rendez-vous sous une autre forme, dans un autre lieu...

Frat'airnellement,

Le Mendiant

 

 

 

 

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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 11:53

Bonjour à tous,

 

Et voilà, l'invasion des pubs sur over-blog a commencé!

 

Et comme vous le constatez, il ne s'agit pas vraiment de gentilles publicités liées à la thématique du blog. Non, j'ai même eu droit ce matin à une publicité pour les cafetières Nespresso!

 

Over-Blog nous avait bien prévenu que cela allait arriver via un email expédié le 31 juillet mais ils nous ont surtout mis devant le fait accompli et mon dernier mail demandant à ce que cette publicité intempestive soit supprimée est resté sans réponse...

 

Over-Blog pense ainsi multiplier les abonnements pour sa version payante et sans publicité et, au passage, convertir tous les anciens vers sa nouvelle plateforme (selon moi) pourrie. Il va surtout nourrir le mécontentement et la migration vers d'autres systèmes...

 

Il est pour ma part hors de question de rester sur un site qui utiliserait mes articles sur le Tao comme support publicitaire! Hors de question que je finance une entreprise qui se moque autant des bloggers!  D'un autre côté, la transition ne sera ni facile ni rapide, au regard de tous les articles publiés... Over-Blog fait chèrement payer la confiance accordée...

 

Allez chercher vos articles sur des sites plus respectueux, comme par exemple le site du mendiant, ou à attendre ma publication sur le Tao. Le manuscrit se termine... et les éditeurs bientôt contactés.

 

Pour ceux qui resteront, je m'excuse de cette intrusion publicitaire et vous recommande de ne jamais cliquer sur le moindre pub ainsi que d'équiper votre navigateur Ad block plus qui arrive encore à les limiter.

 

A bientôt (façon de parler) dans un univers plus respectueux!

 

Le Mendiant

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